Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.
341
RAYNOUARD.

mures flatteurs qu’excitèrent les paroles de Henri IV lui semblèrent autant d’épigrammes contre sa passion pour les conquêtes. Il dut être blessé de vers comme ceux-ci :


Souvent par un rapide et terrible retour,
Le héros de la veille est le tyran du jour.
..................
Qui parle est factieux et qui se tait conspire.


L’empereur, dit quelqu’un présent à la représentation, parut, malgré l’immobilité apparente qu’il conserva long-temps, avoir peine à se contenir pendant la scène où le brave Grillon refuse d’assassiner Guise. Selon son usage, dans ses mouvemens de colère concentrée, il prit du tabac huit ou dix fois avec une espèce de contraction nerveuse, et depuis ce moment il ne parut plus écouter la pièce. — L’auteur avait assisté à la représentation, confondu dans cette foule où plusieurs personnes connaissaient déjà la tragédie par des lectures particulières.

L’empereur fut si mécontent, qu’en sortant il fit défendre à ses comédiens de jouer la pièce à Paris. Cette mauvaise humeur contre les États de Blois ne le quitta jamais, même à Sainte-Hélène, où il disait avec esprit : « M. Raynouard a fait de Henri IV un vrai Philinte, et du duc de Guise un Figaro. » On dit aussi que la rancune de Napoléon contre l’auteur des Templiers a été un des motifs secrets qui l’ont empêché de payer les prix décennaux. La seconde nomination de M. Raynouard au corps législatif, en 1811, ne tarda pas à lui fournir l’occasion, non plus d’exciter l’humeur de Bonaparte, mais de soulever toute sa colère. Choisi, le premier, à la fin de 1813, pour faire partie de la commission de l’adresse, M. Raynouard fut chargé de la rédaction par ses collègues, Gallois, Lainé, Maine de Biran et Flaugergues. Un mal de gorge assez violent, qui n’était pourtant pas analogue à celui de Démosthènes, l’empêcha de prononcer le discours, et il se remit de ce soin à M. Laine, qui s’en acquitta avec fermeté. L’adresse, pleine d’une vigueur inconnue sous l’empire, demandait hardiment la paix et « l’exécution pleine et entière des lois qui assurent la liberté de la presse et la liberté individuelle. » C’en était trop pour l’ombrageux conquérant. Toute sa fureur éclata, et il fit insérer le lendemain au Moniteur un décret qui ajournait indéfiniment le corps législatif. La conduite de la commission de l’adresse a été jugée bien diversement par les différens partis. On a dit que ce n’était pas le lieu de demander la paix et la liberté presque sous les baïonnettes étrangères, et que, ce qui eût été deux ans auparavant une marque de grand courage, n’était plus là que de l’outrecuidance déplacée, que de la politique rancuneuse et mesquine. On conviendra cependant que