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RAYNOUARD.

loppement aux impôts arbitraires, à la falsification des monnaies, aux tribunaux exceptionnels ? Le reproche qu’on a fait à l’auteur des Templiers, d’avoir visé trop souvent au trait, nous paraît plus raisonnable, bien que ce fût chez M. Raynouard un système réfléchi et arrêté[1]. Cependant il a été si souvent heureux, qu’il y aurait de la mauvaise volonté à regarder comme une faute ce qui lui a attiré le plus d’applaudissemens. Ce vers :


On les égorgea tous ; sire, ils étaient trois mille…


qui produit tant d’effet au théâtre, bien que Geoffroy ait dit : « C’est plutôt une épigramme sur les trois mille qui se rendirent que sur les ennemis qui les égorgèrent ; » le mourant avec eux de Marigny, le je le savais du grand-maître, les chants avaient cessé du connétable, peuvent être rapprochés du qu’il mourût du vieil Horace et du moi de Médée. Ce qu’il y a d’assez singulier, c’est que le vers :


La torture interroge, et la douleur répond.


dont on se moqua beaucoup autrefois, comme d’un dialogue ridicule entre madame la torture et madame la douleur, c’est que ce vers si connu a été ajouté pour la représentation, en remplacement d’un vers supprimé par la censure. Cela est fort heureux pour la censure, car elle aura, au moins une fois, été utile au poète et à l’art.

Si l’intérêt faiblit quelquefois dans les Templiers, et s’il paraît peu probable qu’un pareil procès soit instruit, achevé et exécuté en vingt-quatre heures, bien que les jugemens du tribunal révolutionnaire offrissent alors de récens exemples, il ne faut pas pour cela donner à la pièce le titre de Procès-Impromptu, comme le fait Geoffroy ; le fond une fois accepté, M. Raynouard, en homme d’esprit et de tact, en a tiré tout le parti possible.

Un critique, dans les Archives littéraires de 1805, a parfaitement résumé, en l’exagérant peut-être, la conclusion finale à laquelle nous voulons venir sur les Templiers : « Cette tragédie est une et la même pendant les cinq actes, et elle ne fatigue pas. C’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, une admiration pure et entière pour la vertu, une joie généreuse et attendrissante de la voir triompher par sa seule force des tortures et de la mort, sentiment que rien ne trouble et ne contrarie. Voilà ce qui donne à l’ouvrage de M. Raynouard un caractère nouveau et qui lui est propre. » Les Templiers honorent donc l’art de l’empire, à l’égal d’un tableau de Gérard, et ils méritaient en effet de se détacher dans cette année

  1. Voir le Journal des Savans, juin 1822, pag. 342 et suiv.