Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/337

Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
RAYNOUARD.

servées au dehors, ont lu ce premier essai, où sa muse, inexpérimentée encore, bien que tardive, célébrait avec un noble et sobre enthousiasme la liberté, au nom de laquelle on venait de le jeter dans les charniers révolutionnaires. Caton d’Utique, qui peut servir de prologue à la Mort de César de Voltaire, manque absolument d’action, et il n’y a pas lieu, malgré une ou deux belles situations, à un développement tragique. Il nous semble d’ailleurs, malgré l’œuvre d’Addison, que le caractère de Caton ne peut être développé sur la scène. Avec qui mettre en rapport un pareil personnage, à moins de tomber dans la prédication politique ou dans des déclamations sentimentales ? Rien en lui n’est assez humain pour prêter à une combinaison dramatique, et nous ne le concevons que dans une grande et unique scène isolée, comme celle de Pygmalion, ou comme l’Agar et Ismaël, de M. Lemercier. Quoi qu’il en soit de la possibilité de dramatiser le sujet de Caton, l’œuvre de M. Raynouard, remarquable par une tendance prononcée à tout tourner à la maxime, est surtout curieuse par la hardiesse du poète qui, pendant la terreur, ose dire du peuple :


Ah ! qu’il soit de César la proie et la conquête ;
Un peuple qui se vend mérite qu’on l’achète.
..................
Une victoire passe, et la liberté reste…


M. Raynouard, quand la révolution se fut calmée et qu’il eut acquis une honorable indépendance, vint se fixer définitivement à Paris, bien décidé à ne s’adonner désormais qu’à ses penchans littéraires. Son premier succès fut un succès académique. Le 6 nivôse an xii, l’Institut couronna le poème de Socrate au temple d’Aglaure, que M. Raynouard avait envoyé au concours, avec une autre pièce parvenue trop tard et restée inédite. Tout le monde sait qu’à Athènes les jeunes gens se faisaient, à vingt ans, inscrire au rang des citoyens, et prêtaient, dans le temple d’Aglaure, un serment dont la formule a été conservée par Stobée et Pollux. Le serment de Socrate est le sujet du poème de M. Raynouard, où l’on rencontre déjà quelques-uns de ces accens mâles et austères, qui retentirent plus tard avec éclat dans les Templiers. Si Bernardin de Saint-Pierre trouvait ce tableau « ordonné comme ceux du Poussin, » Bonaparte ne devait pas être du même avis, et on conçoit qu’il n’ait guère aimé l’homme qui, en 1803, faisait dire à Socrate :


Forts contre l’injustice, ardens à la punir,
Vous frappez les tyrans, mais sans le devenir, etc.
..................


Ce triomphe académique ouvrit à M. Raynouard le Théâtre-Français. Il