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au peuple la chair palpitante des chevaux ; les tonnes de bière s’ouvraient, et les cérémonies pieuses se changeaient en orgie. Tous les neuf ans, les Scandinaves célébraient une fête plus solennelle. L’évêque Dithmar rapporte, dans sa Chronique de Mersebourg, que dans ces grandes réunions on égorgeait quatre-vingt-dix-neuf hommes, autant de chevaux, de chiens et de coqs.

Ces sacrifices ne servaient pas seulement à rendre hommage aux dieux ; les prêtres y cherchaient un moyen de former des pronostics, de prédire les évènemens. Ils avaient, comme les Romains, une sorte de science augurale à laquelle le peuple ajoutait foi. Les Scandinaves étaient crédules et superstitieux. On retrouve dans leurs croyances le fatalisme grec, le sabéisme des religions primitives, et le fétichisme des races ignorantes : ils disaient que nul homme ne pouvait échapper à son sort ; ils attribuaient une grande influence aux astres, à la conjonction des étoiles, aux diverses phases de la lune ; ils prêtaient serment sur des pierres ; et s’ils avaient une injure à venger, ils prenaient la tête d’un cheval mort, la posaient sur un pieu, et la tournaient, comme un signe de malédiction, du côté de leur ennemi.

Les mêmes croyances naïves, les mêmes idées superstitieuses reparaissent dans la peinture de leur paradis et de leur enfer. Le paradis des héros est le Valhalla : on y arrive par cinq cents portes, et quatre cent trente-deux mille[1] guerriers y sont réunis. Leur joie est de renouveler, dans l’espace éthéré, les combats qu’ils ont soutenus dans ce monde. Ils se revêtent de leur armure, et s’élancent l’un contre l’autre avec ardeur. Mais ceux qui sont blessés dans ces joutes célestes ne souffrent pas, et ceux qui tombent morts sous le poids des glaives se relèvent aussitôt. Quand la bataille est finie, on dresse les tables du festin, et les élus s’asseoient, sur des siéges d’honneur, à côté des dieux. On leur verse dans de grandes coupes le lait de la chèvre Heidrun et la bière la plus pure : on leur sert chaque jour les membres fumans d’un sanglier qui, chaque soir, se retrouve intact. Odin est au milieu d’eux, mais il ne fait que boire et ne mange pas : il donne les mets qu’on lui présente à deux loups qui le suivent fidèlement, et porte sur l’épaule deux corbeaux qui lui disent à l’oreille les nouvelles du monde. Tous les matins, ces corbeaux prennent leur vol, parcourent la terre, et à midi ils s’en viennent raconter à leur maître ce qu’ils ont appris. La table du héros est servie par les valkyries[2]. Ce sont de grandes et belles femmes qui portent aussi la cuirasse, et manient avec adresse la lance aiguë : elles assistent

  1. Il faut remarquer ce nombre, qui se trouve dans plusieurs autres mythologies. Les Chaldéens avaient fait des observations astronomiques pour 432,000 années. D’après Boroms et Syncellus, il s’était passé 432,000 ans entre la création du monde et le déluge. Chez les Indiens, le dernier âge du monde est de 432,000. (Note à l’Edda par Magnussen, tom. i, pag. 249.)
  2. Ce mot vient de valr (camp) et kera (choisir). On les appelait aussi valmeyar, skialldmeyar, vierges du camp, vierges de bouclier. Quelquefois elles se changeaient en cignes et traversaient les fleuves en jouant.