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LETTRES SUR L’ISLANDE.

prême des armées, comme le génie des batailles sanglantes. Alors il ne s’appelle plus créateur : il s’appelle le dieu terrible, l’incendiaire, le dévastateur, le père du carnage. Il traverse les airs sur un cheval qui a huit pieds[1] ; il plane sur les champs de bataille et anime les combattans. Les guerriers lui dévouent les ames de ceux qu’ils égorgent ; le bruit du glaive le réjouit ; le sang qui coule plaît à ses regards ; il passe, sans qu’on le voie, au milieu des cohortes ; mais, à l’ardeur qui les anime, les héros reconnaissent son approche, et croient entendre le hennissement de son cheval. Il s’écarte de ceux qui seront vaincus, mais il prête sa lance à ceux qui doivent remporter la victoire ; et quand la lutte sanguinaire est finie, les valkyries lui amènent les ames des guerriers qui sont morts après avoir noblement combattu.

Thor est le dieu de la force, le maître du tonnerre, l’implacable adversaire des monstre et des géans, qu’il poursuit comme Hercule ou comme Thésée à travers les forêts et les montagnes ; il a des gantelets de fer que lui seul peut porter ; il a une ceinture qui double ses forces, et une massue merveilleuse qu’il lance à la tête de ses ennemis, et qui lui revient dans la main ; son char est attelé de deux boucs ; quand il le fait courir sur les nuages, on entend résonner ses roues d’airain ; et c’est là le bruit que nous prenons pour le tonnerre. Aujourd’hui encore, quand il tonne, les paysans suédois ont coutume de dire : « Voilà le vieux Thor qui se promène. » Thor a été adoré dans toute la Scandinavie. Il a donné son nom à un grand nombre de villes, de fleuves, de montagnes, et à l’un des jours de la semaine[2]. Les poètes ont souvent célébré ses courses aventureuses, ses combats contre les géans. Nous trouverons plus tard, dans l’Edda, l’histoire d’un de ses voyages.

Le troisième dieu était Freyr. Il gouvernait la pluie et les vents, et réglait le cours du soleil. Les Scandinaves avaient confiance en lui, et l’invoquaient pour obtenir une heureuse moisson. Au commencement de l’été, ils plaçaient sa statue sur un char, et la conduisaient autour de leurs champs, persuadés qu’elle devait faire germer le grain de blé dans la terre, et mûrir le fruit sur l’arbre. Freyr était aussi un dieu puissant et courageux. Il avait une épée d’une trempe si forte, qu’elle coupait, comme un brin d’herbe, les cuirasses de fer et les rochers. Un jour, par un fatal mouvement de curiosité, il monta sur le siége élevé d’Odin. De là ses regards embrassaient, dans l’horizon immense, le monde entier[3].

  1. Autrefois, dans certaines parties de l’Allemagne, quand les laboureurs faisaient leur moisson, ils avaient coutume de laisser sur le sol quelques épis pour le cheval d’Odin. (Deutsche mythologie von J. Grimm, pag. 104.)
  2. Islandais, thorsdagr ; danois et suédois, torsdag ; allemand, donnerstag ; anglais, thursday.
  3. Une légende d’Allemagne rapporte qu’un jour saint Pierre monta aussi sur le trône