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sentences. Là sont aussi les trois nornes, les trois parques de la Scandinavie, Urd, Verdandi, Skuld (le passé, le présent, l’avenir). Elles tiennent entre leurs mains le fil de la vie humaine ; elles le tordent sous leurs doigts endurcis ; elles le roulent sur leur lourde quenouille ; elles le coupent avec leurs ciseaux de fer. Sur les rameaux du frêne merveilleux, on voit un aigle qui sait, dit l’Edda, une prodigieuse quantité de choses ; au-dessous de lui est un serpent qui ronge les racines de l’arbre. Un écureuil court sans cesse de l’aigle au serpent, et cherche à semer entre eux la défiance et la haine. Il y a encore auprès de l’Ygdrasil deux beaux cygnes, qui chanteront un jour son chant de mort, et quatre cerfs qui se partagent ses feuilles, comme les saisons se partagent les dépouilles du temps.

Les dieux habitent des maisons splendides, aux murailles d’or, au toit d’argent. Odin a pour lui seul une grande ville éblouissante comme le soleil. Autour de lui sont les alfes lumineux, esprits ailés, génies charmans, sylphes et trilby, qui ont aussi peuplé le monde mythologique de l’Inde[1] et de la Perse, et qui venaient, au moyen-âge, dormir au bord des fleuves, danser dans les prairies, ou s’abriter au foyer du laboureur, et se suspendre en jouant au fuseau de la jeune fille.

Pour communiquer avec le monde, les dieux ont bâti, en forme de pont, l’arc-en-ciel. Au milieu est un sillon de feu, pour empêcher les géans d’y passer. Chaque jour, la troupe divine monte et descend à cheval par cette route aérienne. Thor, lui seul, est obligé de la suivre à pied, car il est si gros et si lourd, qu’aucun cheval ne pourrait le porter.

Il y a douze grands dieux[2]. Le premier est Odin[3]. C’est le maître de l’univers et l’esprit des combats ; c’est le Siva des Indiens, tout à la fois créateur et destructeur, dieu bienfaisant, dieu redoutable, tantôt invoqué dans de pieuses prières, tantôt adoré avec des holocaustes de sang. C’est lui qui préside le conseil céleste, et il s’asseoit dans son palais sur un siége élevé d’où il découvre tout ce qui se passe dans le monde[4]. Il avait douze noms, et il usurpa celui d’Allfader (père de toutes choses) ; ce qui établit dans cette mythologie une étrange contradiction, car Odin mourra un jour, et il est dit que l’Allfader ne doit pas mourir. Les Scandinaves, qui, dans leur humeur guerrière, se souciaient peu d’une divinité pacifique et miséricordieuse, adoraient Odin comme le chef su-

  1. Je rappelle à tous ceux qui veulent étudier la mythologie de l’Inde et les autres mythologies anciennes l’excellent travail que M. Guigniaut a publié en refaisant la symbolique de Creuzer.
  2. Toujours ce mystérieux nombre douze qui se retrouve dans les traditions populaires : les douze signes du Zodiaque, les douze tribus d’Israël, les douze pairs de France, les douze chevaliers de la Table-Ronde, etc.
  3. Les anciens Allemands l’appelaient Wuoten, les Anglo-Saxons Voden.
  4. Les poèmes du moyen-âge parlent souvent du Dieu « qui haut siet et de loin mire. »