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REVUE DES DEUX MONDES.

Et je m’écrie alors : — Ah ! sur l’œuvre divine
Verra-t-on sans respect se vautrer la machine,
Et comme hippopotame, insensible animal,
Fouler toute la terre avec un pied brutal ?
Où les cieux verront-ils luire leurs voûtes rondes,
Si mille pieds impurs viennent ternir les ondes ?
Que diront les glaciers si leurs neigeux sommets
Descendent dans la plaine et s’abaissent jamais,
Et l’aigle, si quittant le pays des nuages,
Au dieu brûlant du jour il ne rend plus d’hommages,
Et la grande verdure et ses tapis épais,
Et les hauts monumens des antiques forêts,
Les chênes, les sapins, et les cèdres immenses,
Le plein déroulement de toutes les semences,
Si l’active matière et ne vit et ne croît
Que par l’ordre de l’homme, au signal de son doigt ?
Ah ! les êtres diront chacun dans leur entrave,
L’enfant de la nature a fait sa mère esclave !
Ô nature, nature amante des grands cœurs,
Mère des animaux, des pierres et des fleurs,
Inépuisable flanc et matrice féconde
D’où s’échappent sans fin les choses de ce monde,
Est-il possible, ô toi dont le genou puissant
Sur le globe nouveau berça l’homme naissant,
Que tu laisses meurtrir ta céleste mamelle
Par les lourds instrumens de la race mortelle ?
Que tu laisses bannir ta suprême beauté
Des murs envahissans de l’humaine cité ?
Et que tu ne sois plus comme dans ta jeunesse,
Notre plus cher amour, cette bonne déesse,
Qui mêlant son sourire à nos simples travaux,
Des habitans du ciel nous rendait les égaux,
Éternisait notre âge et faisait de la vie
Un vrai champ de blé d’or toujours digne d’envie ?
Hélas ! si les destins veulent qu’à larges pas
Fuyant et reculant devant nos attentats,
Tu remontes aux cieux et tu livres la terre
À des enfans ingrats et plus forts que leur mère ;