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REVUE DES DEUX MONDES.

Où viendront s’étourdir vos ames lamentables ;
Qu’à vos ardens regards, sous des poings vigoureux,
Les hommes assommés tombent comme des bœufs,
Et que, sur le gazon des vallons et des plaines,
Chevaux et cavaliers expirent sans haleines ;
Malgré vos durs boxeurs, vos courses, vos renards,
Sous le ciel bleu d’Espagne ou sous les gris brouillards,
Et le jour et la nuit, sur l’onde, sur la terre,
Je planerai sur vous, et vous aurez beau faire,
Nouer de longs détours, revenir sur vos pas,
Demeurer, vous enfuir : vous n’échapperez pas.
J’épuiserai vos nerfs à cette rude course,
Et nous irons ensemble, en dernière ressource,
Heurter, tout haletans, le seuil ensanglanté
De ton temple de bronze, ô froide cruauté !

Ennui ! fatal ennui ! monstre au pâle visage,
À la taille voûtée et courbée avant l’âge ;
Mais aussi fort pourtant qu’un empereur romain,
Comment se dérober à ta puissante main ?
Nos envahissemens sur le temps et l’espace
Ne servent qu’à te faire une plus large place,
Nos vaisseaux à vapeur et nos chemins de fer
À t’amener vers nous plus vite de l’enfer.
Lutter est désormais chose inutile et vaine,
Sur l’univers entier ta victoire est certaine ;
Et nous nous inclinons sous ton vent destructeur,
Comme un agneau muet sous la main du tondeur.
Verse, verse à ton gré tes vapeurs homicides,
Fais de la terre un champ de bruyères arides,
De la voûte céleste un pays sans beauté,
Et du soleil lui-même un orbe sans clarté ;
Hébête tous nos sens, et ferme leurs cinq portes
Aux désirs les plus vifs, aux ardeurs les plus fortes ;
Dans l’arbre des amours jette un ver malfaisant,
Et sur la vigne en fleurs un rayon flétrissant ;
Mieux que le vil poison, que l’opium en poudre,
Que l’acide qui tue aussi prompt que la foudre,