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LE SPLEEN.

C’est moi, — moi qui, du fond des siècles et des âges,
Fis blanchir le sourcil et la barbe des sages ;
La terre à peine ouverte au soleil souriant,
C’est moi qui, sous le froc des vieux rois d’Orient,
Avec la tête basse et la face pensive,
Du haut de la terrasse et de la tour massive,
Jetai cette clameur au monde épouvanté :
Vanité, vanité, tout n’est que vanité !
C’est moi qui mis l’Asie aux serres d’Alexandre,
Qui plus tard changeai Rome en un grand tas de cendre,
Et qui, menant son peuple éventrer les lions,
Sur la pourpre latine enfantai les Nérons :
Partout j’ai fait tomber bien des dieux en poussière,
J’en ai fait arriver d’autres à la lumière,
Et sitôt qu’ils ont vu dominer leurs autels,
À leur tour j’ai brisé ces nouveaux immortels.
Ici-bas rien ne peut m’arracher la victoire.
Je suis la fin de tout, le terme à toute gloire,
Le vautour déchirant le cœur des nations,
La main qui fait jouer les révolutions ;
Je change constamment les besoins de la foule,
Et partant le grand lit où le fleuve humain coule.

Ah ! nous te connaissons, ce n’est pas d’aujourd’hui
Que tu passes chez nous et qu’on te nomme ennui !