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LAZARE.

Qui surpasse en terreur profonde,
Les chants lugubres qu’en ces lieux
Des milliers de mortels élèvent jusqu’aux cieux !

Là tous les instrumens qui vibrent à l’oreille
Sont enfans vigoureux du cuivre ou de l’airain ;
Ce sont des balanciers dont la force est pareille
À cent chevaux frappés d’un aiguillon soudain ;
Ici, comme un taureau, la vapeur prisonnière
Hurle, mugit au fond d’une vaste chaudière,
Et, poussant au dehors deux immenses pistons,
Fait crier cent rouets à chacun de leurs bonds.
Plus loin, à travers l’air, des milliers de bobines
Tournant avec vitesse et sans qu’on puisse voir,
Comme mille serpens aux langues assassines
Dardent leurs sifflemens du matin jusqu’au soir.
C’est un choc éternel d’étages en étages,
Un mélange confus de leviers, de rouages,
De chaînes, de crampons se croisant, se heurtant,
Un concert infernal qui va toujours grondant,
Et dans le sein duquel un peuple aux noirs visages,
Un peuple de vivans rabougris et chétifs
Mêlent comme chanteurs des cris sourds et plaintifs.


L’OUVRIER.


Ô maître, bien que je sois pâle,
Bien qu’usé par de longs travaux
Mon front vieillisse, et mon corps mâle
Ait besoin d’un peu de repos ;
Cependant, pour un fort salaire,
Pour avoir plus d’ale et de bœuf,
Pour revêtir un habit neuf,
Il n’est rien que je n’ose faire :
Vainement la consomption,
La fièvre et son ardent poison,
Lancent sur ma tête affaiblie