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REVUE. — CHRONIQUE.

ment demandée ! M. Thiers a parlé avec une sobriété pleine d’esprit et d’à-propos. Il n’a pas nié qu’on ait eu raison d’invoquer sa responsabilité. « J’ai commis une faute, a-t-il dit, j’aurais dû tout savoir, je n’ai pas tout su. » Le ministre avait eu entre les mains une lettre signée de M. de Gasparin ; il a pensé que cela devait lui suffire : il ignore le reste ; voilà tout ce qu’il sait. Si la modération de M. Thiers a été cruelle, en vérité on ne saurait lui en faire un reproche. M. Odilon Barrot a terminé la séance avec un rare bonheur : il a prié la chambre d’accorder à M. de Gasparin jusqu’à demain, afin qu’il pût obtenir l’autorisation nécessaire pour parler. Le ministère s’est opposé vivement à ce que cette discussion continuât ; mais il a encore été battu sur cet incident, et la chambre a témoigné par son vote qu’elle ne voulait pas laisser échapper la vérité au moment de la connaître.

Aujourd’hui M. de Gasparin est venu déclarer à la chambre qu’il n’avait rien fait dans l’expulsion de Conseil comme dans toutes les autres affaires de haute police que par l’ordre du ministre de l’intérieur du 22 février, et il a formellement accepté le rôle d’un agent irresponsable et secondaire. Après cette déclaration, M. B. Delessert, évidemment dépêché à la tribune par le ministère, a essayé l’aigreur et l’ironie contre l’administration du 22 février. Quelques mots dédaigneux de M. Thiers ont fait justice de cette tentative oratoire du banquier doctrinaire, qui n’est pas plus heureux dans ses improvisations que dans ses essais de présidence. M. Thiers avait à peine terminé sa courte et incisive réplique, que M. Molé a demandé la parole pour donner lecture à la chambre d’une lettre de M. de Montalivet, dans laquelle cet ancien ministre assume sur lui toute la responsabilité des actes du ministère de l’intérieur depuis le 22 février jusqu’au 6 septembre, et déclare qu’il n’y a pas un acte de l’administration qui n’ait eu pour but le véritable intérêt du pays et la sûreté de la personne du roi. Aussitôt après la lecture de cette lettre, la chambre n’a pas eu d’autre pensée que de clore la discussion ; elle s’est arrêtée devant le nom du roi. Il est évident qu’elle n’a pas voulu pousser plus loin les débats, et que, puisqu’elle pouvait trouver autre chose qu’un ministre responsable, elle a volontairement fait halte.

Le paragraphe 7 de l’adresse est venu enfin appeler l’attention de la chambre sur le plus haut intérêt de politique étrangère qui se soit débattu depuis six ans. Il s’agit, en effet, de savoir si on enveloppera dans la proscription de la propagande révolutionnaire la politique constitutionnelle et la solidarité de l’Europe libérale. Après M. Molé, que la chambre a écouté avec une silencieuse estime, M. Thiers a occupé la tribune. Son discours, qui a duré deux heures, embrasse dans toute son étendue et dans tous ses détails la question espagnole, les différentes phases de la révolution qui a produit successivement le statut royal et la résurrection de la constitution de 1812. Tout, dans cette belle improvisation, a été net, franc, lumineux. M. Thiers a produit une impression profonde quand il a montré qu’il ne s’est rejeté sur la coopération que parce qu’on lui avait refusé l’intervention, qui lui a toujours semblé l’acte le plus conforme à l’instinct et à la grandeur de la France. C’était répondre d’une