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Après ce vote victorieux de l’opposition, un des incidens les plus curieux qui, depuis long-temps, aient agité la scène parlementaire, est venu porter de nouveaux coups à l’administration du 6 septembre. M. Odilon Barrot, qui a commencé et fini la séance du 13 avec une égale habileté, a redemandé la parole pour poser cette question : Est-il vrai que le gouvernement français, après avoir envoyé en Suisse l’espion Conseil, en ait demandé l’extradition ? À cette interpellation, M. Molé a laissé échapper le cri d’un homme d’honneur : jamais Conseil n’a été pour lui qu’un réfugié ; M. Molé a trouvé à son ministère une lettre de son prédécesseur à M. de Montebello, où M. Thiers affirmait que Conseil était pour lui un réfugié et nullement un espion. La parole appartenait nécessairement à M. Thiers, qui a raconté les faits avec une loyale lucidité. Après avoir exposé les principes en matière de droit d’asile, et montré la justesse des réclamations portées devant la diète, l’ancien président du conseil a déclaré sur l’honneur qu’il y a six mois il ignorait ce qu’était Conseil, qu’il l’ignore encore ; que s’il a demandé à la Suisse son extradition, c’est sur la provocation de M. de Gasparin, sous-secrétaire d’état de l’intérieur, et que jamais ni M. de Montebello, ni le ministre des affaires étrangères, n’ont connu Conseil comme agent de police, mais toujours comme émigré.

Cette déclaration, si explicite, a causé dans la chambre une satisfaction inexprimable : elle mettait au-dessus de tout soupçon l’honneur de la France et de sa diplomatie. Mais l’intérêt devait croître encore. Tous les yeux étaient dirigés vers M. de Gasparin ; tous les regards l’appelaient à la tribune. Déjà, dans la commission de la chambre, M. de Gasparin avait fait, d’une manière embarrassée, de singulières confessions ; il n’avait pas osé, avait-il dit, avouer au président du 22 février l’envoi de Conseil en Suisse comme espion ; l’ambassadeur était abusé comme le ministre, et on lui faisait demander l’extradition, comme émigré, d’un agent de la police. Le moment était venu pour M. de Gasparin de s’expliquer devant le pays : on peut dire qu’il n’est pas monté à la tribune, mais qu’il s’y est traîné. Au lieu d’improviser des explications nettes et précises, M. de Gasparin a tiré de sa poche un manuscrit, ainsi qu’au sein de la commission il tirait un calepin pour répondre aux moindres questions. Enfin M. de Gasparin n’a ouvert la bouche que pour dire qu’il se taisait, qu’il ne faut jamais soulever le voile dont la police doit être couverte, et qu’au milieu des périls qui nous entourent, il ne fallait pas apporter de nouvelles entraves à l’administration. M. de Gasparin a fait pitié à tout le monde sur tous les bancs de la chambre ; on se demandait comment le ministère laissait porter le poids d’une discussion si embarrassante à une aussi incurable médiocrité. Après quelques mots d’une généreuse indignation prononcée par M. Teste, M. Persil s’est enfin décidé à venir au secours du ministre de l’intérieur ; et, par une inspiration des plus malheureuses, il a provoqué de nouveau la présence de M. Thiers à la tribune, en lui renvoyant la responsabilité des faits qui s’étaient passés sous sa présidence. On peut penser quel silence et quelle anxiété dans la chambre au moment d’entendre la réponse si imprudem-