Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
LE MYSORE.

Bombay avec un médecin qui l’avait soigné au début de sa cruelle maladie, long-temps avant qu’il ne fût transporté à l’hôpital militaire de Bombay ; et j’ai pu me convaincre que l’amiral et le savant naturaliste furent également victimes des devoirs de leur position et de leur zèle inconsidéré à les remplir au-delà de ce que leur permettait une santé déjà compromise. En citant ces deux exemples douloureux d’un sort trop fréquent pour les Européens dans l’Inde, mes souvenirs se portent tristement sur bien des personnes au visage blême que j’ai vues, à peu près partout, accablées par ce climat dévorant et auxquelles je ne supposais pas plus de six mois de vie !

Le vaste plateau de Mysore, ouvert à tous les vents, me parut triste comme le désert ; mon œil cherchait en vain à se reposer parmi ces plaines immenses, sans végétation, et au milieu de ces jungles, où ma seule distraction était de distinguer parfois quelques antilopes fuyant à mon approche. Cependant, à de grandes distances, je trouvai de beaux étangs ; comme dans les oasis, la culture s’était réfugiée sur leurs rives. Les villes, d’un aspect tout particulier, ceintes de fortifications de terre sèche qui rappellent les époques guerrières et révèlent l’esprit inquiet des habitans, sont toujours bâties sur le bord des lacs, qui remplacent les rivières dans cette partie du royaume. Dans le voisinage de Nursapoor, j’allai admirer un des plus beaux arbres de l’Inde sans contredit. Averti par la renommée, je consentis à me détourner d’un mille de ma route pour faire un pèlerinage à ce vieux roi de la nature, objet d’un culte sacré, et dont l’histoire se perd dans la nuit des temps. Je demandai son âge ; mais on ne voulut pas se hasarder à rien préciser. Suivant l’usage oriental, on me répondit par des milliers d’années. Dans les questions numériques, le chiffre 40 est celui qu’ils affectionnent le plus, et ils le laissent toujours complaisamment précéder la collection des mille. Quoi qu’il en soit, cet arbre séculaire avait une souche prodigieuse ; il appartenait à l’espèce de figuier très connue des naturalistes sous le nom de ficus indica, et des colons sous celui de multipliant. Outre son tronc principal, d’une énorme circonférence et formé d’un faisceau de racines très multipliées, ses branches, étendues horizontalement dans toutes les directions comme des bras immenses, avaient laissé pendre au-dessous d’elles de nouveaux liens, qui, en descendant jusqu’à terre, y avaient pris racine et étaient devenues autant de belles colonnes destinées à soutenir sa large toiture. L’arbre s’est ainsi réellement reproduit dans une vingtaine d’autres, et couvre de son ombre épaisse un grand nombre de compartimens et de salles, dans lesquelles, sans exagération aucune, plus d’un bataillon bivouaquerait à l’aise. Il renferme une petite chapelle indienne qui lui est consacrée, et qui a ses brahmes pour la desservir.