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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

est un moyen pour le développement des caractères, les caractères sont un moyen pour le développement de l’action. L’action et les caractères doivent donc être entre eux dans un tel rapport de convenance et de liaison intime, qu’ils se prêtent un appui mutuel et contribuent au déploiement et au relief les uns des autres.

Le Chemin de Traverse a-t-il une action ? a-t-il des caractères ? Cette action et ces caractères s’accordent-ils ensemble ?

Qui dit action dit une série de faits combinés, réagissant les uns sur les autres, liés entre eux dans un rapport de prémisse à conséquence, et aboutissant à une conséquence dernière qu’on appelle dénouement. Qui dit caractère dit un ensemble de penchans, de passions, de manières d’être constantes chacune avec elle-même, sans être homogènes, ni d’accord, ni invariablement pondérées, et se résumant dans un aspect complexe, mais en même temps un, en tant qu’il représente une individualité précise et distincte. Ce qui constitue l’action comme le caractère, c’est la persistance, la continuité.

M. Janin dit quelque part que s’il s’entend à quelque chose, c’est à préparer un récit. Se fondant là-dessus, il prépare toujours, et tant et si bien, qu’il ne lui reste plus ni temps ni place pour agir ou faire agir. Dans toutes les parties du roman qu’il consacre à ces préparations, parties qui en comprennent les trois quarts, il n’y a donc pas d’action. Restent maintenant les petits coins clairsemés où l’action a trouvé à se faire jour, comme une touffe d’herbe dans les crevasses d’un mur.

Grâce au travail du temps, qui, pour parler un langage assez à la mode depuis quelques années, a amené chez nous l’émancipation et la constitution de l’individualité, l’individu se trouve maintenant en présence de la société, abandonné à ses propres forces et à ses ressources personnelles. Il est affranchi de toute tutelle, il est libre, mais libre le plus souvent de mourir de faim ou de devenir un fripon. En développant le point de vue de la lutte de l’homme nouveau-venu, jeune, et désarmé contre le monde, retranché dans ses droits acquis et son égoïsme, en l’éclairant de quelque grande et généreuse idée sociale, il y avait certes un beau livre à faire, dramatiquement et moralement. M. Janin n’a entrevu que la plus infime partie de son sujet. Il n’a su y démêler que cette moralité de vieille femme et de nourrice, que Charlet avait déjà