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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

stant que l’Allemand choisit pour se laisser pousser en France par une soudaine et irrésistible fantaisie, est celui où l’empereur Joseph II, qui est prêt à le recevoir pour la première fois dans son cabinet, lui a fait annoncer qu’il pouvait entrer. Narguant toute étiquette et toute bienséance, il cède sa place à une solliciteuse impatiente, sort brusquement du palais impérial et prend la poste incontinent.

Quand une passion a assez d’empire sur un homme pour le porter, dès l’abord, à des actes aussi extravagans, on a le droit d’en attendre des effets ultérieurs. Mais point ; une fois en possession de cette France, une fois auprès de cette Hélène, pour lesquelles il a outragé un empereur, ce n’est plus la France, ce n’est plus Hélène qui l’occupe. La trame du roman qu’a déjà brisée dès son entrée en France la chute de la voiture du comte, chute qui l’a jeté avec un membre fracturé dans la chaumière d’une paysanne où il est devenu le rival malheureux et ridicule de son laquais, cette trame se brise encore une fois, et voici qu’elle se rattache à une sensation incomplète, à la suite d’une aventure de bal masqué. Encore cette fureur de compléter une sensation n’est-elle pas une passion des sens ou du cœur ; c’est une inqualifiable prétention philosophique et expérimentale, c’est un entêtement d’homme sans occupation et sans cervelle. Un crétin se roulant dans son fumier lui a donné l’idée de ce que c’est que compléter une sensation. Il est pris de jalousie ; il veut être l’égal du crétin ; il lui faut absolument sa sensation complète. Je ne sais comment il se fait que la révolution française est employée à barrer ou à élargir le chemin à ce maniaque qui court après le crétinisme et le complément d’une sensation. Vraiment il est beau de voir ces luttes gigantesques, ces guerres des titans de la tribune qui déracinaient, de chacun des coups dont ils se frappaient, quelque assise de la plus vieille monarchie de l’Europe, n’ayant de vicissitudes et de héros que pour alarmer ou servir la passion d’un imperceptible et stupide Allemand, qui n’est occupé qu’à chercher le nom d’une femme qu’il a embrassée sous son masque, et qui appelle cela compléter une sensation ! Quoi ! il y a au monde un livre, un roman où Barnave, Mirabeau, le roi Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, la monarchie de Clovis, l’assemblée constituante, la révolution française, en un mot, avec tous ses principes et toutes ses consé-