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inédite et qui est un monument de sagacité, de prévoyance, de vigueur, et où les jugemens fins de l’homme d’esprit abondent à côté des vues fermes et élevées de l’homme d’état[1].

Arrivé à Paris, il ne trouva que faiblesse et anarchie. Le désordre était partout. Le gouvernement directorial touchait à son terme. La constitution de l’an iii, provisoire et impuissante comme les autres, n’avait pu imposer la paix aux partis et donner l’ordre à la France. Le directoire l’avait violée contre les conseils, au 18 fructidor ; les conseils la violèrent à leur tour contre le directoire, qui fut contraint de sacrifier trois de ses membres. Entouré de ruines, voyant les vieilles passions s’agiter encore avec fougue malgré leurs fatigues, ne trouvant plus ni loi respectée, ni puissance forte, ni ressort moral, apprenant même que la gloire et la sûreté de la révolution étaient compromises en Italie et menacées en Hollande et en Suisse, Sieyes, vers lequel se tournaient toutes les espérances, crut le moment venu d’opérer un changement définitif qui pût asseoir la société française dans l’ordre et la liberté. Il pensa que sa constitution pouvait s’établir, et il conçut dès-lors ce qu’il réalisa quelques mois plus tard au 18 brumaire. Mais comment et par qui exécuter ce dessein ? Depuis quelque temps l’instrument des mutations politiques n’était plus le peuple, mais l’armée. Sieyes chercha dès-lors un général, et son mot fut : Il me faut une épée. Il espéra l’avoir trouvée dans Joubert. Il lui fit donner le commandement de l’armée d’Italie, pour qu’il y acquît de la gloire et qu’il la mît ensuite au service de ses idées. Mais la Providence, qui se joue des volontés humaines et qui appelle dans ses voies et à ses œuvres les hommes les plus propres à y marcher et à les accomplir, lui destinait un autre coopérateur. Joubert fut tué à Novi. Aux désordres intérieurs se joignirent alors les revers militaires. Le directoire regrettait d’avoir envoyé si loin le plus puissant de ses défenseurs et la plus glorieuse de nos armées. Il chargea M. de Bouligny, ministre d’Espagne à Constantinople, de négocier avec la Porte l’évacuation de l’Égypte et le retour de l’armée et du général qui l’avaient conquise. L’un de nos confrères, M. Reinhart, ministre des affaires étrangères à cette époque, écrivit, le 18 septembre 1799, au général Bonaparte :

  1. Cette correspondance est renfermée dans trois volumes in-folio sur la Prusse, années 1798 et 1799, et se trouve aux Archives des affaires étrangères.