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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

ce ne sont que des contes ; embarrassés et fatigans quand l’auteur poursuit le développement d’une pensée ou d’une intention, comme dans un Cœur pour deux Amours. Parmi les plus agréables de ces articles, on peut citer Rosette, le Procès, mon Voyage à Brindes, l’appartement de Mme de Grignan, etc. Mais un morceau qui est un chef-d’œuvre dans les œuvres de M. Janin et partout, un morceau qui restera comme un modèle d’escrime littéraire, c’est Manifeste de la jeune Littérature. Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas ici de force de raison, ni d’argumens reliés en mailles serrées et impénétrables autour d’une théorie d’art ; le principal argument de M. Janin est un argument de fait. — Vous voulez nous chasser, nous, littérature facile ; mais si nous nous retirions, qui serait là pour nous remplacer ?

Cela ne prouvait pas que la littérature facile fût une chose irréprochable et inattaquable en elle-même, et qui ne méritât pas les excommunications dont on l’avait chargée. Si M. Janin n’avait eu que ces raisons pour avoir raison, il fut resté sous le poids de l’interdit. Mais il eut son esprit, qui n’avait jamais été plus abondant, plus svelte, plus malicieux, plus attique, plus irrésistible ; il eut son style, qui n’avait jamais été plus français ; il eut toutes les graces, toutes les séductions de la littérature facile, qui n’avaient jamais été plus magiques, plus enchanteresses que dans ce jour où elles plaidaient leur propre cause. Pour la gagner, elles n’eurent qu’à se montrer. M. Janin, dans cette occasion, a trouvé l’éloquence de Périclès : il a mis toute nue, devant son aréopage, Aspasie accusée de mœurs trop faciles. Que dis-je ? il a montré seulement ce petit gant jaune-serin, si joli, si parfumé, et devant cette réponse à laquelle elle ne s’attendait pas, l’accusation n’a plus trouvé de paroles. Une raison peut avoir de la force contre une autre raison, mais que peut-elle contre des fascinations et des prestiges ?

Au reste, on remarquera que dans le Manifeste de la jeune Littérature, M. Janin a fait d’une pierre deux coups, dont l’un était tourné contre lui-même. Le premier plaidoyer qui ait été fait contre la littérature facile, c’est l’Âne mort et la Femme guillotinée, où l’auteur prétendait montrer que rien n’est facile comme de faire du pathétique et de la terreur, selon les procédés qui prévalaient à cette époque, et rien de ridicule et de méprisable comme ces procédés ; l’Âne mort n’a pas d’autre sens. Entre cet ouvrage et le