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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

sens, les contradictions, les démentis donnés à l’histoire, à la vérité, à la vraisemblance ; mais le manque d’élégance, de ton, de style, ni à vous ni à lui, il ne le pardonnera jamais. Aussi, quelle verve inoffensive dans ses plus cruelles malices ! Quelle exquise urbanité dans ses plus abruptes colères ! Quelle grâce et quel charme dans les moindres mouvemens de sa pensée ! Sous ce rapport, si l’on considère tout ce qu’il a produit, dans une vie laborieuse de huit ou dix années, sans se lasser, sans se démentir une seule fois, M. Janin n’a pas d’égal. Jamais écrivain n’a eu aussi long-temps autant d’esprit sans venin et sans souillure. Nous relèverons cependant un article du Livre des Cent-et-Un où cette plume si retenue, à propos de M. Enfantin ou de ses adhérens, a lâché, entre autres choses, le mot d’escroc. Ce mot fait un horrible effet dans la bouche de M. Janin. De plus, on peut le dire aujourd’hui qu’on est revenu sur les préventions du moment, on doit le dire aujourd’hui que ceux qu’elles outrageaient si cruellement sont vaincus et absens, ce mot était aussi injuste qu’ignoble. Il y avait même entre tant d’excentricités, qui souvent prêtaient à rire et dont le rire a fait ample justice, des dévouemens et des vertus dont M. Janin est peut-être incapable. C’est ce qui peut l’absoudre de n’y avoir pas cru. Toutefois, ce n’est pas l’insulte gratuite à la justice et à la vérité que je lui reproche. Ces sortes de querelles, outre qu’elles n’auraient rien de littéraire dans ce cas particulier, mèneraient un peu trop loin avec lui. J’ai une plus grande méchanceté à lui faire. Ce dont je l’accuse, c’est d’avoir manqué aux convenances du langage et à ses propres habitudes de bon ton et de beau style. Si sa conscience n’a pas eu le temps de l’avertir, son goût du moins aurait dû le faire, et c’est à ce dernier que je m’en prends de cette double inadvertance. M. Janin, rayez cet article du Livre des Cent-et-Un. L’abbé Châtel et le Dieu-Escroc Enfantin y gagneront moins encore que vous.

Le sentiment exclusif de la forme, la recherche exclusive de la forme, voilà M. Janin tout entier ; voilà la source première de ses qualités et de ses défauts ; voilà comment on peut le ranger plutôt parmi les comiques que parmi les critiques, comment il est un homme qui crée, plutôt qu’un homme qui décompose. Mais le défaut de cohésion et de continuité dans les idées, qui l’empêche d’être un critique, lui interdit aussi toute création de longue haleine.