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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Vers cette époque (1829) il se montra dans la Revue de Paris, qui se fondait alors et dont il fut un des plus actifs collaborateurs. Son article de début fut une Nuit dans Alexandrie, petite nouvelle agréablement contée et d’une piquante conclusion. Il venait de publier l’Âne mort et la Femme guillotinée, son premier succès, son premier et son meilleur livre.

J’ai dit plus haut que le succès de M. Janin avait été original ; c’est surtout en le comparant avec les autres succès qui se firent jour à la même époque, et en voyant combien il en diffère par son point de départ et ses moyens, que l’on peut s’en convaincre. Il semble que la fortune littéraire de l’auteur de l’Âne mort, l’écrivain aux légers et insoucians paradoxes, soit elle-même un paradoxe en action à son origine, et que l’homme ait attaqué la vie à peu près comme l’écrivain attaque ses idées et ses caractères, non pas à contresens tout-à-fait, mais de biais et par le côté qui doit lui offrir le moins de prise.

Le premier tiers de l’année 1829, qui nous donna l’Âne mort et la Femme guillotinée, fut aussi pour le mouvement littéraire, qui absorbait alors, dans un sens ou dans un autre, toutes les passions et toutes les forces vives, M. Janin excepté, un instant brillant et décisif. L’agression jusque-là n’avait fait que des reconnaissances et livré que des combats d’avant-garde pour tâter l’ennemi. Le jour de l’engagement général et définitif était arrivé. On vit paraître coup sur coup, en moins de quatre mois, les Orientales, le Dernier jour d’un Condamné, Henri III, les Poésies de Joseph Delorme, les Poèmes de M. de Vigny, qui renaissaient pour prendre part à la bataille, la Chronique de Charles IX de M. Mérimée, les Études de M. Deschamps, etc., etc. Tout cela était jeune, bouillant, audacieux jusqu’à la témérité. C’était dans ce groupe irrésistible que devaient se jeter, pour faire leur trouée, toutes les ambitions altérées d’honneurs et de renommée. M. Janin s’y trouva englobé en effet, mais en quelle qualité ?

C’étaient des théories qui, soit à l’état d’application, soit à l’état de formules, en venaient aux prises par les mains de ces hommes. La métaphysique de l’art était remuée de fond en comble. M. Hugo, dans la préface de ses Orientales, mesurait l’espace à la critique et traçait autour du poète un cercle qu’il interdisait de franchir. Joseph Delorme, s’aidant de la tradition et du sentiment, fondait