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se clore à vingt-quatre ans, la lutte devient plus sombre, les grâces du début se décolorent, le mal qu’il faut combattre apparaît et fait tache sur les devans du tableau. Élisabeth, après la mort de son époux, est chassée, persécutée, honnie. Il faut bien se figurer ceci pour être dans le vrai de la réalité historique : de tout temps, les facultés diverses de l’esprit humain ont été représentées au complet, bien qu’en des proportions variables, et de même que, dans les plus saintes ames, il y a des momens d’éclipse, de doute, d’angoisse, enfin des combats, de même dans les siècles réputés les plus orthodoxes, le gros bon sens ou la moquerie ont eu leur voix, leurs échos, pour protester contre ce qui semblait une folie sainte. Élisabeth l’éprouva au xiiie siècle, tout comme au xviie, la mère Angélique, quand elle révolta le monde et sa famille par la réforme de son couvent. Ce que les lecteurs mondains diraient de nos jours en lisant le détail des mortifications et de certains excès, un grand nombre des contemporains des personnages le disaient également et presque par les mêmes termes. La meilleure réponse à faire à ces objections dont quelques-unes, il faut l’avouer, n’évitent pas de s’offrir trop naturellement à l’esprit non encore régénéré, c’est qu’avec ces bonnes raisons on n’arriverait jamais à la charité dont les miracles s’enfantent, au contraire, dans cette route escarpée qui, pour ainsi dire, offense. Il y a d’affreux détails dans ce que l’auteur raconte de la charité d’Élisabeth, notamment lorsqu’elle boit cette eau (page 213), pour se punir d’un dégoût. On rencontre de pareils détails dans la vie de presque tous les saints. Moi-même, dans un exemple assez rapproché je trouve que, quand la jeune Angélique entreprit sa réforme à Port-Royal, elle commença par rejeter le linge conformément à la règle, et par garder jour et nuit des vêtemens de laine qui eurent bientôt mille inconvéniens. Mais souvenons-nous que Volney, qui place si haut la propreté dans l’échelle des vertus, était aisément le plus sec et le plus égoïste des hommes. Si pourtant je n’avais affaire chez M. de Montalembert qu’à l’artiste, j’eusse désiré dans son tableau quelque omission sur ces points, ou du moins quelque ombre. Un poète a dit :


La Charité fervente est une mère pure
(Raphaël quelque part sous ces traits la figure) ;
Son œil regarde au loin, et les enfans venus