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SIEYES.

— Il avait en effet résolu le problème pour lui le plus difficile de ce temps, celui de ne pas périr.

Après le 9 thermidor, il fut l’un des chefs du parti légal et modéré de la convention. Il proposa et il obtint la rentrée des girondins proscrits. Voulant mettre désormais l’assemblée à l’abri des factions extérieures, il fit adopter la loi martiale contre les émeutes et désigner la ville de Châlons-sur-Marne pour son lieu de refuge et de réunion, si l’on attentait encore à sa liberté. Nommé président de la convention et membre du nouveau comité de salut public, il coopéra aux premières ébauches de pacification intérieure et aux premiers traités que la révolution française négocia avec les vieux états de l’Europe résignés à son existence et convaincus par ses victoires. Il alla lui-même en Hollande conclure un traité d’alliance qui fut signé à la quatrième conférence. Les traités de Bâle avec la Prusse et avec l’Espagne, en 1795, auxquels Sieyes prit une fort grande part comme l’un des principaux chefs du gouvernement, détachèrent ces deux puissances de la coalition européenne. La révolution française consacra par les traités ce qu’elle avait acquis par l’épée, le droit de vivre et d’être grande, son existence et ses conquêtes.

Le but que paraît s’être proposé à cette époque Sieyes fut la pacification et la grandeur de son pays. Il ne songea ni à le constituer, ni à le régir. En effet, appelé à préparer la constitution directoriale de l’an iii, il ne contribua point à sa rédaction. Nommé l’un des cinq directeurs, il déclina cette part de souveraineté. Il ne consentit donc à être ni législateur, ni gouvernant, et il attendit un moment plus favorable pour ses idées et pour son autorité. Il rentra volontairement dans l’inaction.

Ce fut à cette époque que l’un de ses compatriotes du département du Var, l’abbé Poulle, se présenta chez lui et lui tira un coup de pistolet à bout portant. Une balle lui fracassa le poignet, une autre lui effleura la poitrine. Il montra beaucoup de sang-froid. Appelé en témoignage, et voyant à l’audience que les penchans des juges étaient pour l’accusé, de retour chez lui il dit spirituellement à son portier : « Si Poulle revient, vous lui direz que je n’y suis pas. »

Quelque temps après, l’occasion de consolider et d’étendre l’œuvre pacificatrice à laquelle il avait travaillé vers la fin de la con-