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titude des embarras que la formidable Russie va lui donner aussitôt qu’elle s’installera à ses côtés, et cela non dans des siècles, mais demain, après-demain ?

L’Autriche aime beaucoup les faits accomplis par les autres ; elle adopte même ceux auxquels elle s’est montrée long-temps hostile. Elle sait toujours en profiter, témoin son dernier traité de commerce avec la Grèce. Eh bien ! la Valachie et la Moldavie offrent à son habileté beaucoup de ces faits accomplis. Qu’elle intervienne donc ouvertement, et que, d’accord avec la France et l’Angleterre, avec la Russie même, s’il le faut, elle prenne en main la cause des principautés. Les cabinets de Londres et de Paris sont trop pénétrés de leurs intérêts et de ceux de l’Europe, pour que l’importance de cette question ne les frappe pas dès le premier abord. Rarement les affaires de ce monde ont offert un champ plus vaste à l’action du génie politique ; jamais, peut-être, la diplomatie européenne n’a eu de solution plus grave à décider.

Nous ne prétendons pas désespérer entièrement de la civilisation et de la liberté, dans le cas où le drapeau russe flotterait un jour sur Sainte-Sophie. Le gouvernement russe (qu’on le sache bien) est peut-être le gouvernement le plus accessible à la civilisation. Qu’a d’ailleurs à craindre la civilisation ? n’est-elle pas plus forte que tous les hommes et tous les pouvoirs ? L’histoire l’atteste ; elle n’a jamais fait faute à l’humanité, elle s’éloigne d’un côté pour reparaître ailleurs ; jamais elle ne s’est éclipsée. Si la civilisation grecque a subjugué les indomptables Romains, celle de l’Europe saura bien se rendre maîtresse des flexibles Moscovites.

On frémit toutefois de penser que la domination universelle peut appartenir momentanément à un seul czar. La destinée du monde entre les mains d’un seul individu, dictant ses volontés à l’Europe, à l’univers ! victoire passagère de la force brutale, victoire funeste, triomphe qui ne durera pas ! Les bras qui l’auraient décidée en déchireraient l’étendard pour s’en partager les lambeaux ! Les lois de l’histoire, comme celles de la physique, sont constantes ; mais qui oserait prévoir le dénouement ? Qui oserait prédire la durée de la lutte entre les diverses races, acharnées les unes contre les autres ? Qui oserait dire au prix de quels désastres, de quelles horribles douleurs, de quels torrens de sang, la nouvelle dislocation s’opérerait ? L’universelle domination n’est pas une