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Mme Damoreau, avec son œil agaçant, son allure dégagée et vive, sa voix pleine de charme et de gentils fredons, représente le nouveau. Or, tout irait bien désormais si le vieillard voulait, une fois pour toutes, consentir à se taire sous ses charmilles ; mais non, la vieillesse est incorrigible : de temps en temps le bonhomme se regaillardit, sa tête se monte, il tourne sur lui-même vaillamment, vient à Mme Damoreau en prenant des airs de Céladon, tombe à ses pieds en l’appelant sa Colette, et finit toujours par l’attendrir en lui chantant les doux souvenirs de son jeune âge. Délicieux momens d’amour et d’enthousiasme, qui nous valent les représentations poétiques de chefs-d’œuvre tels que le Bouffe et le Tailleur, et le Mauvais-Œil, cette adorable partition qui semble sortie de la plume ingénieuse et facile de Gaveaux inspiré. Et dernièrement il avait tellement circonvenu Mme Damoreau, le tentateur ! qu’elle en perdait la tête, et commençait à fredonner les motifs du Rossignol. Reprendre le Rossignol ! ô misère ! Heureusement que M. Auber est arrivé à temps avec son Ambassadrice pour empêcher cette belle équipée. La nouvelle partition de M. Auber ne vaut ni plus ni moins que toutes celles qu’il écrit depuis tantôt quatre ans. C’est la même grâce dans les détails, la même pétulance dans le chant, le même esprit dans la manière de traiter le premier motif qui se présente, comme aussi le même manque absolu d’invention, la même absence de toute formule originale. À tout prendre, j’aimais encore mieux les Chaperons blancs. Il y avait çà et là, dans cette pauvre musique, certaines traces d’une verve bouffe excellente, dont M. Auber, sans cette inconcevable fureur de produire incessamment qui le travaille entre tous, aurait pu tirer bon parti pour l’avenir. C’est une chose triste que de voir l’auteur de la Muette et de Gustave, le seul représentant sérieux de l’école française, user ce qui lui reste de son génie en de si futiles travaux. Il y a dans la vie des grands maîtres une époque grave et féconde pendant laquelle, la première fougue de la jeunesse s’étant calmée et la Muse ne les sollicitant plus à toute heure, ils commencent à se recueillir, descendent dans la conscience de leur propre génie, en comptent les fruits mûrs et les bourgeons avortés, caressent les uns, émondent les autres, et ne donnant plus désormais que l’essence pure de leur pensée, rassemblent à loisir, dans une œuvre qu’ils élaborent rigoureusement, tout ce qu’ils dispersaient autrefois sans raison dans plusieurs. Or, c’est justement cette époque de réflexion et de maturité que M. Auber a choisie pour écrire quatre opéras par an. Étrange entreprise, dont on ne se tire qu’en appelant à son secours les artifices les plus déplorables et mille ruses de métier qu’il faudrait laisser à l’impuissance. Vraiment, d’une pareille musique on ne sait que penser. Je dirais volontiers, pour toute critique, ces trois mots de la comédie de Shakspeare : « Comme il