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un mode nouveau en les faisant voter par tête ? Si on les faisait voter par tête, doublerait-on les députés du tiers-état, ou les maintiendrait-on à leur ancien nombre ? En un mot, substituerait-on la loi des majorités au suffrage des classes, l’intérêt public à l’intérêt privé, le droit au privilége, et une assemblée puissante et réformatrice aux assemblées paralysées d’avance de l’ancienne monarchie ? Telles furent les questions posées par le gouvernement lui-même.

M. Sieyes se hâta d’y répondre, et pour la première fois il comparut devant le public. Dans la tentative de réforme naguère faite par voie administrative, il avait été nommé membre de l’assemblée provinciale d’Orléans. Il avait vu la profondeur du mal, et l’inutilité du remède que la couronne avait employé pour le guérir. Il proposa alors le sien dans trois écrits qu’il publia coup sur coup en 1788 et au commencement de 1789. Ces trois écrits furent : 1o Son Essai sur les priviléges ; 2o sa célèbre question : Qu’est-ce que le tiers-état ? 3o les Moyens d’exécution dont les représentans de la France pourront disposer en 1789[1].

Toutes ses vues étaient exposées dans ces écrits qui devinrent le symbole politique de la révolution. Rien n’égale l’effet que produisit sa brochure sur le tiers-état. Ce manifeste de la classe moyenne se résumait en trois questions et en trois réponses :

1o Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout.

2o Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.

3o Que demande-t-il ? À devenir quelque chose.

Dans cet écrit, qui prépara la victoire et le gouvernement de la classe moyenne, M. Sieyes s’attacha à prouver, et je me sers de ses propres expressions, que le tiers-état formait une nation complète[2], qu’il pouvait se passer des deux autres ordres, qui ne sauraient exister sans lui ; et il alla jusqu’à dire : Si la noblesse vient de la conquête, le tiers-état redeviendra noble en devenant conquérant à son tour[3]. Il prévit que la gloire allait, comme tout le reste, être bientôt roturière.

Il soutint que le tiers-état, composé de vingt-cinq millions de

  1. Le dernier de ces écrits fut composé avant les deux autres, quoiqu’il n’ait été imprimé qu’après eux.
  2. Qu’est-ce que le tiers-état ? chap. ier.
  3. Ibid., chap. ii.