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REVUE MUSICALE.

dront Moïse et don Giovanni. De cette sorte, nous aurons le répertoire complet cette année, excepté pourtant la Semiramide, qui pourra bien dormir dans le sépulcre de la bibliothèque, à moins qu’un contralto ne vienne d’Italie tout exprès pour l’éveiller et la conduire au soleil de la scène. Dans l’état actuel de la troupe, l’exécution de ce chef-d’œuvre nous semble impraticable ; nous ne pensons pas que l’on puisse songer sérieusement à confier la partie d’Arsace à Mme Albertazzi.


L’Opéra subit le malaise des révolutions. L’ancienne administration, en se retirant avec les honneurs de la fortune, n’a laissé qu’un bien mince héritage à l’entreprise qui lui a succédé. Aussi serait-ce vouloir courir à sa ruine de gaieté de cœur que de s’obstiner à suivre la même pente. Le répertoire est usé, les engagemens finissent, la dissolution envahit tout ; il faut reconstituer, quoi qu’il en coûte. J’imagine que ce doit être un bien rude métier, que celui d’un directeur de l’Opéra qui commence. Les difficultés l’assiégent de toutes parts ; il trouve le vide où il rêvait des tonnes d’or ; il traite avec des amours-propres de cantatrice, les plus furieux qui soient au monde ; et pour surcroit de misère, remarquez que c’est toujours durant ces intervalles ténébreux qui s’étendent entre le coucher du soleil d’une administration et l’aurore d’une autre, que tous les fléaux de l’Égypte s’abattent sur un théâtre. Alors viennent les rhumes des chanteurs, et les entorses des danseuses, et les mille plaies inventées en un jour de colère, pour servir d’excuse au mauvais vouloir. M. Véron était un laboureur habile qui savait à merveille le cours des astres au ciel de sa fortune ; un beau jour il a vu naître un point noir dans les profondeurs de l’horizon, aussitôt il s’est mis à remuer la terre pour hâter sa récolte ; puis, ses blés étant rentrés, il s’est élancé vers de nouveaux sommets du haut desquels il contemple sans doute la tempête qui siffle sur un champ qui n’est plus le sien. En attendant que sa question vitale se décide devant la chambre, le nouveau directeur fait ce qu’il peut, il engage Dupré, il commande un ballet pour Fanny Elssler, prépare Stradella, et se réfugie sous les Huguenots, cette tente de soie et d’or que M. Meyerbeer, dans sa prévoyance, a tissue à l’Opéra pour ses jours mauvais.

Nourrit se retire, c’est là un fait grave, et qui pourra bien, plus tard, avoir quelque influence sur la destinée de la nouvelle administration. Nous ne connaissons nullement encore le ténor dont on fait si grand bruit. Ceux qui l’ont entendu en disent merveille. Cependant, quelque prévention qui s’élève en sa faveur, il nous semble difficile que Dupré soit de taille à supporter le fardeau du répertoire de Nourrit. Le système usité aujourd’hui à l’Opéra français donne trop à la déclamation pour que l’on puisse s’accommoder long-temps d’un chanteur élevé à l’école de la