Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
REVUE DES DEUX MONDES.

connaître, pour admirer, pour saluer avec respect, ce qu’il a dédaigné par ignorance, ce qu’il a ignoré par dédain. Est-ce à dire que cette soudaine révélation le déciderait à changer de rôle ? Je ne le crois pas. Mais Voltaire, convaincu d’ignorance et de frivolité, jouerait le même rôle à d’autres conditions, avec moins de succès ou plus de modestie.

S’il est vrai que les leçons de M. Patin ne seraient pas sans profit pour l’homme singulier qui avait appliqué son génie à tous les problèmes posés par l’intelligence humaine, depuis l’expression de la beauté jusqu’à l’exposition des lois qui régissent le monde et les sociétés, assurément ces leçons ne seraient pas moins utiles aux esprits de notre temps ; car les imaginations vagabondes trouveraient dans Virgile un modérateur et un guide ; elles apprendraient de lui l’ordre et la mesure, conditions indispensables de la beauté. Comme le vieillard studieux dont parle M. Sainte-Beuve dans son épître à M. Patin, ils transporteraient dans le monde réel la grâce et l’harmonie qui règnent dans les poèmes du maître ; la nature prendrait à leurs yeux une grandeur, une dignité qu’ils ne soupçonnent pas. Une partie des sentimens humains, qui semble aujourd’hui bannie de la poésie, reprendrait le rang qui lui appartient ; à côté de Didon il y a place pour Hécube et pour Priam. Loin de moi la pensée de prescrire aux hommes de notre temps l’imitation des formes virgiliennes : copier l’antiquité païenne ne vaudrait pas mieux que copier l’Allemagne et l’Angleterre ; mais si l’imitation est stérile, l’étude est féconde. Or, c’est l’étude de Virgile que je voudrais voir se populariser parmi nous. Depuis quinze ans, les poètes de la France ont presque tous concentré leur attention sur la rime et la césure, sur la voûte des strophes et sur l’enjambement des alexandrins ; il serait temps de penser à des questions plus sérieuses et qui intéressent plus directement la poésie. Maintenant que la langue est assouplie, maintenant qu’elle est préparée à dire clairement tout ce que l’imagination pourra rêver, il ne serait pas hors de propos de remettre en honneur les lois qui régissent l’imagination, et de chercher le texte de ces lois dans le poète mélodieux qui les a si bien appliquées. Au-dessus et au-dessous de Virgile il y a place encore pour une poésie admirable, mais nul mieux que lui n’a connu l’art de relever par l’expression les détails de la vie réelle, d’effacer les lignes mesquines et d’accuser, en les ordonnant, les lignes majestueuses ; nul n’a mieux compris le rôle de la mesure dans la beauté. M. Patin a donc bien mérité de l’imagination en restituant le vrai génie de la poésie latine.