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joug impérieux de la mélodie un seul des rêves qui enchantaient son imagination vagabonde, et le souvenir d’Aubignié s’effacera comme s’il n’avait jamais été. Aubignié demeure obscur comme Maréze, Doudun et Ramon, et il vaut moins qu’eux, puisqu’en laissant échapper la gloire il n’a pas vécu pour le bien, puisqu’il est inutile.

L’idée qui domine M. Jean maître d’école, n’est autre que l’expiation. Les fautes du père rachetées par les vertus du fils, tel est le thème que M. Sainte-Beuve s’est proposé dans M. Jean. Pour développer ce thème dans un récit, il n’a pas pris la voie la plus directe, et peut-être a-t-il bien fait ; car les préliminaires sur lesquels il insiste avec un soin minutieux donnent au héros de son poème, et à toutes les pensées qu’il lui prête, un caractère d’irrécusable authenticité. Ce qui, dans un récit d’un autre genre et d’un autre ton, pourrait passer pour une préparation trop lente, est ici d’une réelle utilité. Nous aimons à connaître tous les témoins qui garantissent la vérité de cette austère biographie. La présidente, Mme de Cicé sa fille, et M. Antoine dont les conseils religieux dirigent la conscience de ces deux femmes, encadrent simplement la figure principale, et, loin de distraire l’attention, servent à la fixer. Mme de Cicé, orpheline et veuve, vit à la campagne entre la pratique du bien et l’espérance d’un monde meilleur. Elle a connu, elle a étudié toutes les vertus de M. Jean, et c’est elle qui raconte au poète les trésors ignorés de cette belle âme qui est retournée à Dieu après quatre-vingts ans de soumission et de persévérance ; c’est elle qui nous initie aux premières années de cette victime modeste et résignée, qui nous associe aux craintes et aux espérances de l’enfant trouvé ; car M. Jean est un enfant trouvé, le cinquième enfant de Jean-Jacques Rousseau. La sage-femme qui l’a reçu dans ses bras, Mme Gouin, l’a marqué d’un signe certain, afin de le reconnaître ; elle l’a visité fidèlement sans confier son secret à la nourrice, mais elle a su intéresser le cœur de la présidente en faveur du pauvre abandonné, et, sous la pieuse direction de M. Antoine, le fils de Jean-Jacques, plus âgé de cinq ans que la petite fille qui sera un jour Mme de Cicé, grandit et se prépare aux épreuves expiatoires. Son amitié pour sa sœur d’adoption, ses entretiens avec M. Antoine, sur la colline en face du soleil couchant, sa curiosité, sa ferveur, composent un touchant tableau. Enfin la présidente, après avoir pris l’avis de M. Antoine, révèle à M. Jean le nom de son père, et lui montre le chemin qu’il doit suivre pour se montrer digne de son origine. Dieu, lui dit-elle, a de grands desseins sur vous ; il vous a donné pour père l’apôtre de l’orgueil et