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REVUE. — CHRONIQUE.
qui en reste, ce sont des noms, seulement des noms, mentionnés en passant par la critique ou par l’histoire, ou bien encore que les suffrages de l’amitié ont fait arriver jusqu’à nous dans les vers de quelque poète plus heureux, destiné à toujours vivre. Veut-on un exemple frappant de ces vicissitudes de gloire contemporaine et puis d’éternel oubli ? Le biographe d’Atticus compte parmi les personnes distinguées auxquelles cet illustre romain rendit service dans des jours malheureux, L. Julius Calidus, le poète le plus élégant, dit-il, que son temps ait produit après la mort de Lucrèce et de Catulle : Quem, post Lucretii Catullique mortem, multo elegantissimum poetam nostram tulisse œtatem, vere videor posse contendere[1]. Or, ce poète, ainsi célébré, et par un bon juge, sans le témoignage unique de Cornélius Nepos, nous ne saurions pas même qu’il a vécu. Le siècle d’Auguste a compté bien des célébrités pareilles, auxquelles il nous faut croire également sur parole. Et, pour ne pas les rappeler toutes, ce qui serait infini, pour nous borner, parmi tant de grands auteurs oubliés, à ceux dont l’oubli est demeuré le plus illustre, que savons-nous des élégies de Gallus, des comédies de Fundanius, des tragédies de Pollion et de Varias, rivales de la Médée d’Ovide, des épopées du même Varius, et de Rabirius, et de Cornélius Severus, et de Pedo Albinovanus, des poèmes didactiques ou descriptifs de Macer, qu’en savons-nous, que le peu qu’en ont dit un rhéteur comme Sénèque le père, un critique comme Quintilien, un historien comme Velleius Paterculus, Virgile, Horace, Ovide, qui les traitaient d’égaux et quelquefois de mieux que cela ? Ces poètes, qui pourtant ont charmé leur temps, dont les vers, selon l’expression latine, volaient sur les lèvres des mortels, n’ont laissé après eux, comme le vulgaire, que ces espèces d’épitaphes.
Le temps, qui a traité avec rigueur quelques-uns d’entre eux, a fait, on doit le croire, justice au plus grand nombre. Le temps, disait Eschyle, ne respecte point ce qui se fait sans lui, et vous avez appris d’Horace, ce grand maître dans un art, connu avant lui du seul Catulle et assez généralement ignoré de son temps, dans l’art, professé depuis par Boileau, de faire difficilement des vers faciles ; vous savez par ses chagrines ou malignes confidences, bien des fois répétées, qu’on se piquait alors à Rome d’inspiration soudaine, de composition précipitée, qu’on redoutait, qu’on dédaignait le lent travail de la lime, qu’on eût rougi de corriger, peut-être de relire, qu’on se fût cru sacrilége en revenant sur des vers dictés apparemment par Apollon. De là des surprises d’un jour, des succès sans lendemain, de brillantes, mais périssables ébauches dont s’amusait un moment l’oisiveté romaine et puis qu’elle abandonnait, faites pour durer ce que duraient ces couronnes des festins que nous peint Properce, se séchant sur le front des convives et parsemant de leurs débris les coupes encore pleines.

Ac veluti folia arentes liquere corollas,
Quæ passim calathis strata natare vides
[2].

Parmi tous ces versificateurs qui s’arrêtaient amoureusement aux premiers caprices de leur esprit, qui se complaisaient dans leur négligence, qui confondaient avec l’art les procédés expéditifs du métier, se rencontrèrent quelques poètes, d’un génie plus patient et plus sévère, qui, les yeux attachés
  1. Corn. Nep. in T. Pomp. Attico, cap. xii.
  2. El., ii, 14, 52.