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ment d’exécution. Par malheur, dans ces comptes rendus de l’enseignement supérieur, la critique devra souvent avoir une plus grande place que l’éloge. Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans aucun développement ; mais nous pouvons au moins annoncer, dès aujourd’hui, que nous suivrons M. Jouffroy dans ses leçons de psychologie, M. Géruzez dans l’excursion qu’il fait cette année au sein de la littérature du règne de Louis XIII, M. Fauriel dans son histoire des lettres en Espagne, et enfin notre collaborateur, M. Ampère, dans ses consciencieuses et savantes investigations sur la littérature du moyen-âge et les origines de la langue française. — La leçon d’ouverture du cours de M. Patin a pour sujet les poètes du siècle d’Auguste ; nous la donnons en entier.


Messieurs,

La suite de ces leçons, sur l’histoire de la poésie latine, nous a conduits, en cinq années, par une route bien longue, mais dont les lenteurs, dont les détours même n’étaient peut-être pas sans utilité, jusqu’à cette époque poétique, si célèbre, si étudiée, si connue, que les exemples de la Grèce préparèrent à Rome pendant les deux derniers siècles de la république, dont l’achèvement se rencontra avec la fondation de l’empire, à laquelle Auguste, qui en favorisa à son profit le développement, sut attacher son nom. Cette époque eut pour principaux caractères une correction de formes, une perfection de goût, bien péniblement acquises et qu’elle ne pouvait garder long-temps, qui devait presque aussitôt s’altérer pour bientôt se perdre, semblables en cela au théâtre même où se produisaient de tels mérites, à ce monde romain formé pièce à pièce par la conquête, et qui, à peine complet, commença à s’ébranler et à se dissoudre. Le siècle d’Auguste, je prends ce mot dans son acception littéraire, en la restreignant à ce qui est particulièrement de mon sujet, à ce qui regarde la poésie, le siècle d’Auguste commence pour nous à Virgile, et il se termine avec Ovide, qui avait vu Virgile, mais qui n’avait fait que le voir, Virgilium vidi tantum[1], et qui, malgré toutes ses graces, semble déjà loin de la vérité, de la pureté, de la beauté virgiliennes. Si au premier de ces deux noms nous ajoutons celui d’Horace, qu’une certaine conformité de génie, de succès et de destinée en a rendu inséparable, si nous faisons précéder l’autre de ceux qui l’ont en effet devancé, et comme annoncé, de ceux de Properce et de Tibulle ; si, dans cette courte liste, nous tenons compte, comme nous le devons, des poètes didactiques, Gratius et Manilius, si même nous y comprenons, à raison de son exquise élégance, le fabuliste Phèdre, qui n’a probablement rien publié avant le règne de Tibère, nous aurons rappelé à peu près tout ce qui représente aujourd’hui la poésie d’un âge de loisir social, où l’art des vers, mêlé aux plaisirs et aussi aux vices des Romains, parure de leur luxe et de leur corruption, occupait, avec un peuple d’amateurs, une fort nombreuse élite d’écrivains distingués. Que de productions applaudies, admirées, dont quelques-unes méritaient de l’être, et qui ont péri, péri tout entières, jusqu’aux ruines, comme dit le poète. À peine en rencontrons-nous quelques débris insignifians, particulièrement chez les grammairiens qui les ont conservés, non par considération pour leur valeur poétique, mais pour constater certaines curiosités de mètre, de langage, d’ortographe ! Le plus souvent ce

  1. Ovid., Trist., iv, 52.