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REVUE. — CHRONIQUE.

années, et il se crée un mérite aux yeux du pays, en adoptant comme définitif son état légal, avec plus de sincérité peut-être qu’un certain nombre de ceux qui ont voté la constitution. Voyons maintenant ce qu’il peut faire, ce dont il est capable, quelles chances de salut il représente, ce qu’il apporte de ressources et de forces à la cause libérale ; car, si les destinées de l’Espagne ne lui sont pas encore officiellement confiées, il n’en exerce pas moins dès aujourd’hui une influence décisive sur la marche du gouvernement, puisqu’il est en majorité dans les deux chambres, que les deux présidens lui appartiennent, qu’il semble avoir inspiré le discours de la couronne et qu’il a rédigé les deux adresses, puisque le vent de l’opinion publique souffle dans ses voiles, et que tout le convie à tenter encore une fois la difficile épreuve du pouvoir.

Eh bien ! nous le disons à regret, le parti modéré a d’abord commis une faute ; il a trop vite laissé voir qu’il désespérait de sauver l’Espagne par ses propres moyens, et que l’intervention étrangère était toujours son idée fixe. Il est possible qu’en théorie, le parti modéré ait raison ; que l’Espagne n’ait pas d’autre chance de salut que l’intervention de ses alliés, ou du moins qu’elle soit condamnée, si on ne lui accorde pas l’intervention, à se débattre et à s’épuiser, on ne sait combien d’années encore, dans les vicissitudes de la guerre civile et les convulsions de l’anarchie. Mais il ne faut, ni dans le gouvernement des nations, ni dans celui des intérêts privés, aller se briser le front contre une barrière infranchissable, sous prétexte que c’est le meilleur ou le plus court chemin. Nous accordons sans peine au parti modéré qu’il a fait preuve de sens, de lumières et de vrai patriotisme, en foulant aux pieds un ridicule orgueil national pour demander l’intervention en 1835 ; nous lui accorderions même davantage, s’il le fallait, en ce qui concerne l’intérêt de la France et l’honneur de la révolution de juillet dans cette question. Mais quand nous lui aurons fait toutes ces concessions, il n’y aura gagné que d’avoir raison en théorie et non de réussir en pratique. L’intervention ne sera pas devenue plus possible, et on ne sera pas plus près de faire produire, au traité de la quadruple alliance, autre chose que l’insuffisante fermeture de la frontière.

Dans un discours très remarquable prononcé sur cette question, M. Martinez de la Rosa semble attribuer uniquement à la révolution de la Granja l’inexécution du plan de coopération anglo-française offert à l’Espagne par le ministère du 22 février. C’est une erreur. La nouvelle de la révolution de la Granja est arrivée à Paris au milieu d’une crise ministérielle, causée par la résistance que rencontraient déjà les mesures nécessaires à l’accomplissement de ce projet, et les évènemens de Saint-Ildephonse n’ont fait que fortifier, à juste titre, il faut le reconnaître, les répugnances qui s’étaient déjà prononcées. Or, s’il est vrai que le nouvel ambassadeur d’Espagne auprès de la cour des Tuileries, M. le marquis d’Espeja, vienne plaider en faveur de l’espèce de réaction qui s’accomplit contre les hommes et les choses de la Granja, pour obtenir du gouvernement français la reprise des mesures offertes à M. Isturitz, nous craignons que l’Espagne n’aille au-devant d’un mécompte qui refroidira les populations pour la cause de la reine, sera exploité par les carlistes et rendra des chances de retour au parti exalté.

On a beaucoup remarqué dans ces derniers jours l’approbation formelle donnée par le gouvernement de la reine à l’exécution du colonel Iriarte,