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sont forcément suspendues. Mettre un terme à cette lutte, pourvoir, sans le concours de l’assemblée législative, aux frais d’administration de la province, tel était le but des résolutions que lord John Russell a fait adopter, dans la dernière session, par la chambre des communes. Mais elles n’ont pas obtenu force de loi, parce que la chambre des lords n’a pas eu le temps de les discuter, et c’est à leur seule annonce que le mécontentement des Canadiens s’est traduit en actes plus expressifs, qui ont à leur tour provoqué des rigueurs nouvelles de la part du gouvernement.

Le ministère anglais se trouve sans doute fort embarrassé de l’attitude que prend la plus belle moitié du Canada. Cependant il ne paraît pas, jusqu’ici, disposé à essayer de quelques concessions pour y rétablir le calme ; et peut-être, sans trop le savoir, au lieu de se poser comme arbitre impartial entre deux nationalités jalouses, est-il resté sous l’influence exclusive de l’une des deux, qui défend ses priviléges avec d’autant plus d’opiniâtreté qu’elle se sent la plus faible.

Le côté politique de la question d’Espagne a repris toute son importance depuis l’ouverture de la nouvelle session des cortès, ainsi que le faisaient pressentir l’esprit des élections et le discours de la reine régente. Le parti modéré ne pouvait pas rentrer dans les affaires sans remuer aussitôt, à tort ou à raison, les idées et les espérances qui se sont identifiées avec lui, et que l’on doit regarder comme la base de sa politique. S’appuyer sur la France, en invoquer les secours, demander une plus large interprétation du traité de la quadruple alliance, faire valoir le triomphe de ses opinions, le rétablissement de l’ordre et de la discipline, l’effacement des tristes souvenirs de la Granja, la reprise des erremens du ministère Isturitz, tels devaient être l’attitude et le langage du parti modéré. Il l’annonçait lui-même à Madrid avant la réunion des cortès, et, dès leurs premières séances, il a ainsi développé ses vues et marqué sa position. Mais en même temps il a eu bien soin d’éloigner toute apparence de réaction, d’abjurer le statut royal, de constater solennellement que la constitution de 1837 avait réalisé ses désirs, et qu’il l’adoptait entièrement, sans arrière-pensée de modification ou de réforme. Cette conduite du parti modéré est aussi habile dans l’intérêt de sa propre cause qu’elle est sage dans l’intérêt de l’Espagne. Il a brisé par là une des armes les plus dangereuses employées contre lui par ses adversaires, qui n’avaient cessé de le représenter comme attaché au principe d’une charte octroyée et contraire à celui d’une constitution librement débattue entre la nation et le souverain. Maintenant c’est une ressource qui manque au parti exalté, sous l’empire duquel a été faite cette même constitution de 1837. Ses rivaux se sont placés sur son terrain, et, hâtons-nous de le dire, ils s’y sont placés de bonne foi. Agir autrement, c’eût été de la maladresse et de l’ingratitude ; car la première application d’une loi fondamentale, votée sans leur concours, leur a été trop favorable pour qu’ils n’aient pas dû s’empresser de s’y rallier franchement, et d’autant mieux que le triomphe de l’opinion modérée dans les élections n’est pas un effet du hasard, mais provient certainement du principe de l’élection directe, substitué aux trois degrés de la constitution de 1812.

Le parti modéré se trouve donc pour l’Espagne et pour lui-même dans une excellente position. Il n’est pas responsable du mal qui s’est fait, de l’extension que la guerre civile a prise dans le cours des deux dernières