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LES CÉSARS.

Caïus, qui, après tout, avait bien mérité sa mort, mais songeant beaucoup à eux-mêmes : nourris, engraissés, choyés par les empereurs, qu’allait faire d’eux le sénat ? C’était un sec et peu profitable gouvernement que celui des consuls ; qu’auraient-ils à gagner ? L’absence de Rome, des marches dures, de dures garnisons, des combats contre les Germains, chose dont ils se souciaient peu ; puis mourir au service, ou, si l’on parvenait aux premiers grades, une pauvre retraite. Décidément ils n’étaient que les soldats de l’empereur, il leur fallait un empereur ; lequel ? peu importait. Tout en délibérant, ils pillaient le palais ; le peuple, qui ne délibérait pas et qui profitait du désordre sans songer à ce qui pouvait en advenir, le peuple pillait avec eux, lorsque dans un coin obscur, dans une de ces pièces élevées que l’on ménageait pour recevoir en hiver les rayons du soleil, un soldat, nommé Gratus, vit des pieds sortir de dessous une portière, les tira à lui, amena quelque chose qui se jeta tout tremblant à ses genoux pour lui demander grâce ; loin de la lui refuser, le soldat se prosterna, et salua cet homme empereur. Le personnage était Tibérius Claudius, frère de Germanicus, oncle de Caligula, âgé alors de cinquante ans, grand amateur de grec, et depuis son enfance plastron de la famille impériale. Quelque proche qu’il fût de Caïus, celui-ci ne le tua point, il le garda pour s’en amuser. Un instant avant le meurtre, Claude suivait l’empereur ; les conjurés l’écartèrent pêle-mêle avec la foule, il s’en fut dans une salle voisine ; de là entendit du tumulte, eut peur, et alla se cacher ; de sa retraite, derrière son rideau, il vit porter les têtes de ceux qu’avaient tués les Germains, et quand on le trouva, il tremblait de tout son corps.

Cependant les prétoriens s’étaient attroupés ; l’élu de Gratus fut tout de suite leur empereur ; quel qu’il fût, on en pouvait faire un prince ; il y a tant d’occasions où tout ce qui manque à un parti, c’est un homme à mettre en avant. Le ridicule, l’obscur, l’imbécile Claude représentait donc la puissance prétorienne que Caïus avait faite la première dans l’empire. Mais il avait si peur, qu’il ne pouvait marcher ; on le mit dans une litière ; les porteurs, effrayés comme lui, le laissèrent là et s’enfuirent ; les prétoriens le prirent sur leurs épaules, tout triste et tout effrayé, si piteux que le peuple crut qu’on le menait à la mort, et, touché de compassion, disait : « Laissez-le donc, c’est aux consuls de le juger. » On le porta ainsi au camp du prétoire ; il y passa une nuit fort inquiète. Triste empereur ! mais il ne fallait pas mieux aux soldats.

Comme il arrive en pareil cas à toute assemblée, le sénat perdait