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LES CÉSARS.

la même pendant laquelle Philippe, roi de Macédoine, avait été assassiné ; pour la nuit, on préparait un autre spectacle, le tableau des enfers, selon la mythologie égyptienne : frivoles circonstances qu’on ne remarque qu’après l’évènement, mais dont les historiens sont toujours remplis, et qui peuvent servir comme d’échantillon de leur philosophie.

Caïus voulait passer la journée au théâtre ; les conjurés, qui étaient près de lui, le déterminèrent à quitter le spectacle pour le bain et le festin. Dans une crypte, en allant au bain, il rencontra des jeunes gens d’Asie qu’on lui amenait pour paraître sur la scène. Il s’arrêta à voir leur répétition, et allait leur ordonner de venir jouer en plein amphithéâtre, lorsqu’un des conjurés, Chœrea ou Sabinus, au lieu de lui répondre, le frappa de son épée à la tête. Il n’avait autour de lui que les conjurés mêmes, tous ses propres officiers ; comme pour lui faire honneur, ils avaient écarté la foule. Ils revinrent tous sur lui, le frappèrent jusqu’à trente fois, s’encourageant par ce mot d’ordre : Encore ! encore !

Mais il faut voir ce qui suivit, saisir, en ce moment de trouble et de révolution où tout se révèle, cette société romaine dont les élémens sont si loin de nous. Caïus fut à peine tué que les conjurés se trouvèrent en péril. Des esclaves, qui portaient sa litière, arrivèrent avec leurs bâtons sur le lieu du meurtre ; sa garde la plus intime, composée de Germains, bras robustes et cervelles épaisses, s’était mise en mouvement à la première alarme, parcourait les rues, parcourait le palais, frappait au hasard, ne sachant qui était conjuré, tuait les premiers venus et promenait leurs têtes dans Rome.

Cependant le peuple au théâtre apprenait la mort de Caïus : on en doutait encore, les uns par désir, les autres par crainte de voir la nouvelle se confirmer. Il en était comme à la mort de Tibère ; on craignait que le prince n’eût fait courir le bruit de sa fin pour connaître et poursuivre ses ennemis. Il s’en fallait donc bien que tous fussent réunis dans la même pensée, il est curieux de savoir quels étaient les amis de Caïus : c’étaient, (dit le conteur Josèphe, les soldats, les femmes, les jeunes gens, les esclaves, — les soldats associés à ses rapines, — les femmes et les jeunes gens enchantés de la magnificence de ses jeux, de ses largesses au Forum, de ses combats de gladiateurs, ne pensant à rien, ne possédant rien, craignant peu de chose ; — les esclaves enfin auxquels Caïus avait permis de dénoncer leurs maîtres, de les accuser, de s’enrichir de leurs dépouilles, sorte de demi-affranchissement ; faits graves qui jettent une demi-