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de fournir des élémens à l’histoire, grave, officielle, majestueuse comme on la fait. Moi qui n’ai pas la prétention de faire de l’histoire, je me permets de consulter ces deux Juifs, Josèphe et Philon. Le dernier était le plus disert des Juifs d’Alexandrie, l’orateur de leur ambassade ; il nous peint ce qu’il a vu de ses yeux, et quand il nous raconte l’audience de Caïus, c’est chacune de ses émotions qu’il nous redit, c’est un empereur tout vivant, tout parlant, tout agissant, qu’il fait jouer devant nous : même dans la vérité majestueuse de Tacite, dans la curiosité anecdotique de Suétone, il n’y a pas cette réalité de mouvement, ce détail d’action.

Depuis plusieurs jours, les députés juifs suivaient Caïus sans pouvoir le joindre. Caïus était en Campanie, visitant ses villas, vivant de palais en palais ; il leur donna enfin rendez-vous aux portes de Rome, dans la villa de Mécène, qu’il avait jointe à celle de Lamia, pour faire avec ces deux grandes demeures du patriciat romain une demeure plus digne de lui. — Ils trouvèrent la villa toute belle et toute ornée, les vases d’or et les statues grecques disposées partout, les salles ouvertes, les jardins ouverts. Caïus avait voulu, tout en leur parlant, parcourir toutes ces magnificences.

Au milieu de ces grandes salles, ils trouvèrent, à côté d’un comédien et des intendans des deux villas, un homme grand, pâle, mal proportionné, — les yeux creux et le front menaçant, — peu de cheveux et beaucoup de barbe, — une férocité étudiée sur sa figure, qu’il composait au miroir pour la rendre plus terrible. Son costume, comme dit un écrivain, n’était ni de son pays, ni de son rang, ni de son sexe, ni celui même qu’un être humain pût porter : un manteau peint et couvert de pierreries, des bracelets, une robe de soie, une chaussure de femme ; avec cela quelque attribut de dieu, la foudre, le caducée, la barbe d’or.

Les Juifs n’eurent que le temps de se prosterner devant lui. « Salut, dirent-ils, Auguste et empereur… » Caïus les interrompit : « Voilà donc ces ennemis des dieux, ces hommes qui me méprisent quand tout le monde m’adore, ces adorateurs d’un dieu inconnu ! » Les Alexandrins qui étaient là profitèrent de cet heureux début. « Ce n’est pas tout, seigneur, dirent-ils ; ces hommes refusent d’offrir des victimes pour votre salut. » Les Juifs protestèrent : « Non, seigneur, nous immolons des hécatombes pour vous ; nous versons sur l’autel le sang des victimes ; ainsi avons-nous fait quand vous êtes devenu empereur, — quand vous avez été guéri de cette maladie qui affligea toute la terre, — quand vous êtes parti pour la Germanie. » — « Oui,