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chevaliers et pour le peuple ; quant au sénat, je ne serai plus ni son concitoyen, ni son prince. »

Si ses guerres avaient été plaisantes, son retour à Rome fut sérieux ; il était fâché, ne voulut pas de triomphe, défendit qu’aucun sénateur vînt au-devant de lui, recommença ses cruautés et en prépara de plus grandes ; il avait deux livrets, appelés le Glaive et le Poignard ; on y trouva marqués les noms de ceux qu’il voulait faire mourir. Ainsi comptait-il décimer le sénat et l’ordre des chevaliers, puis quitter Rome où il s’ennuyait, transférer le siége de l’empire à Antium sa ville natale, ou bien à sa ville favorite, Alexandrie.

Alexandrie méritait bien cette faveur ; la ville grecque et égyptienne, idolâtre et superstitieuse comme l’ancienne Égypte, légère et adulatrice comme la Grèce, avait été la première à célébrer le culte de l’empereur, le dieu-homme : Caïus valait bien après tout le dieu-bœuf Apis et le dieu-chien Anubis. Mais au sein de cette ville aux mille déités vivaient à part les ennemis de l’Égypte et des idoles ; à la faveur de la civilisation et du commerce, Israël était revenu après des siècles sur la terre de Memphis. Dans Alexandrie, cité universelle, il y avait de tous les peuples, et entr’autres une colonie de Juifs riche, nombreuse, se faisant respecter à force de ténacité et de conviction, maintenant sous les empereurs leurs synagogues, leurs lois, leurs magistrats, leurs priviléges. Mais entre les adorateurs de l’ibis et du crocodile et les adorateurs de Jehova, entre la menteuse, la mondaine, la changeante Alexandrie et la triste et sévère Jérusalem, il y avait querelle depuis long-temps. La divinité de Caïus ne fut qu’une occasion pour rallumer les haines. On viola les synagogues, on dégrossit à la hâte quelques images du prince pour les placer, objet abominable, dans l’oratoire des Juifs ; à eux-mêmes, on nia le droit de cité qui leur appartenait depuis des siècles, on les rejeta, comme au moyen-âge, dans un étroit et obscur quartier de la ville ; ceux que l’on rencontrait ailleurs furent pris, fustigés, brûlés même.

Le gouverneur romain favorisait ces violences. La dernière et triste ressource des Juifs était de s’adresser à Caïus ; ils députèrent vers lui, les Alexandrins en firent autant ; de part et d’autre, on choisit les plus beaux diseurs : la rhétorique était de toute nation et de tout lieu.

Mais de tristes nouvelles attendaient sur le sol d’Italie les pauvres envoyés juifs : en débarquant à Pouzzol, ils surent de la bouche de leurs frères ce qui se passait à Jérusalem. Dans le temple, dans le saint des saints, là où reposait le nom incommunicable de Dieu,