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filé. « Par les dieux ! s’avisa de dire quelqu’un, la consternation serait grande si l’ennemi venait à paraître. » Aussitôt voilà Caïus hors de voiture, montant à cheval, tournant bride. Il regagne le pont. Le pont était encombré de traînards, de goujats, de bagages. Caïus, poussé par la peur, se fait porter de main en main, leur passe à tous au-dessus de la tête, et n’est tranquille que sur sa bonne terre des Gaules.

Mais ce n’était là qu’une fausse alerte, l’ennemi se contentait de rire, et ne venait pas. Il fallait pourtant une victoire à Caïus. Il avait, je ne sais d’où, quelques prisonniers ; il les fait cacher au-delà du Rhin ; ils reviennent avec bruit. On lui annonce que l’ennemi arrive ; il était à table, quitte héroïquement son repas suivi de ses convives et de quelques cavaliers, arrive dans le bois voisin ; l’ennemi avait fui. Il abat des arbres, fait élever des trophées, revient aux flambeaux, réprimande vertement ceux qui ne l’ont pas suivi, distribue des couronnes aux compagnons de sa victoire. Un autre jour, il avait dans son camp de jeunes otages ; il leur fait quitter l’école où ils apprenaient le latin, les envoie au loin secrètement, se fait annoncer leur fuite, quitte encore son repas, monte à cheval, reprend et ramène les fugitifs ; puis se remet à souper, fait asseoir auprès de lui les chefs de l’armée, tout cuirassés et tout bottés encore. Voilà la misérable parodie à laquelle le monde assistait sans rire, et pendant ce temps Caïus injuriait officiellement le sénat et le peuple de Rome : « Comment ! lorsque César combat, lorsqu’il court tant de dangers, vous ne pensez qu’à d’inconvenans festins, au cirque, au théâtre, au repos de la campagne ! »

Aussi n’était-il pas pressé de revenir à Rome ; il aimait bien mieux passer son temps en Gaule, pillant, confisquant, épuisant ce malheureux pays ; assez près de Rome pour que les proscriptions ne s’y ralentissent pas, pour qu’il pût faire venir le mobilier de la couronne et le vendre, pratiquant ces fructueuses enchères dont nous parlions tout à l’heure ; fondant, pour se divertir, ce fameux autel de Lyon, du haut duquel les rhéteurs vaincus étaient jetés au Rhône (bel encouragement pour l’éloquence !). Mais ce n’était pas tout ; si riche et si à son aise qu’il fût dans les Gaules, son ambition ne se reposait pas. Vous avez vu le commencement de sa comédie guerrière, voici le farceur impérial sur un nouveau tréteau. C’est la Bretagne qu’il veut conquérir, la Bretagne abandonnée par la politique romaine depuis la victoire équivoque de Jules César, interdite par Auguste à ses successeurs ; conquête lointaine, stérile, pleine de dangers. Son armée