Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/754

Cette page a été validée par deux contributeurs.
750
REVUE DES DEUX MONDES.

dans le vestibule du palais était le mendiant impérial, assis sur son trône, tendant la main ; les consuls, le sénat, la foule, appelés par ordonnance, venaient, les mains et la toge pleines, couvrir de leurs dons le siége du souverain. Il n’y eut de gain si infâme dont cet homme pût rougir : il y avait un lieu de débauche dans le palais ; on inscrivait les noms de ceux qui y entraient, gens dignes de la reconnaissance du monde, pour avoir ajouté un denier au revenu de César.

Voici un métier qu’il fit encore, moins infâme, également étrange. Après avoir aimé ses sœurs plus que des sœurs ne doivent l’être, il s’avisa de les trouver complices de conspiration, révéla toutes leurs infamies, les fit exiler, s’empara de leurs biens. Mais que faire de tant de dépouilles ? Il n’était pas assez riche pour les garder. Les vendre ? L’énormité des confiscations devait avoir fait baisser le prix des biens. Que dis-je ? Il les vendra, mais il les vendra lui, en propre personne, recevant et proclamant les enchères. Ainsi, toutes les richesses de ses sœurs, leurs mobiliers, leurs parures, leurs esclaves, leurs affranchis, tout affranchis qu’ils étaient, furent adjugés à des prix immenses. Cette admirable découverte ne pouvait en rester là ; il avait bien autre chose à vendre : en Gaule, des biens énormes confisqués sur les principaux du pays ; ailleurs, nombre de gladiateurs, restes des jeux qu’il avait donnés, objet d’un débit excellent ; en Italie, le mobilier magnifique qui, accumulé par deux Césars, garnissait les palais impériaux. Que tout cela vienne à la vente ; le grand marché est dans les Gaules ; il faut toutes ces richesses au marchand César. Mais les voitures, les chevaux manquent. — Prenez les voitures de louage, prenez les chevaux des moulins ; le pain manquera à Rome (car les moulins ne tournaient que par les chevaux) ; mais qu’importe ?

Voilà donc César commissaire-priseur, tenant hautes les enchères, vantant sa marchandise, encourageant les acheteurs qui hésitent ; bavard, facétieux, ne vendant guère à moins de quelques cent mille sesterces, déployant toute la faconde du genre, plus l’argument sous-entendu de la hache impériale : « N’avez-vous donc pas honte, avares que vous êtes, d’avoir plus de fortune que moi ? Voyez où j’en suis réduit. Livrer au premier venu le mobilier sacré des princes ! Je m’en repens, en vérité. — Ne donnerez-vous pas cette misère pour un meuble qui vient d’Auguste ? — Ceci servait à Antoine ; pour l’amour de l’histoire, achetez-le. — Et vous, mon ami, prenez cette bagatelle : 200,000 sesterces. Vous êtes de province ; vous avez envie de souper chez César : vous y souperez ; il vous y invite. —