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LES CÉSARS.

monde ? Il est gladiateur, chanteur, cocher. Au théâtre, il accompagne la voix de l’acteur ; il répète son geste, il le corrige. Homme d’esprit, il a su acquérir un peu de tous ces talens, et c’est bien assez pour qu’il s’y croie le premier de tous. Chaque empereur en général a eu sa manie, Tibère la grammaire et les grammairiens, Claude eut la rage de juger ; mais la manie la plus commune de ces maîtres du monde fut pour les talens du cirque et du théâtre. Ce qu’on applaudissait tant, après eux et devant eux ; ce qui faisait la fureur du consul et du crocheteur, de la matrone et de l’esclave, le comédien, le bouffon, l’agitator, le pantomime, leur inspirait plus de jalousie ; c’était une gloire qui ne pliait pas tout-à-fait devant la leur, et le reste de liberté que le peuple gardait au théâtre les poussait instinctivement à s’y faire applaudir. Au milieu de la nuit, Caïus mande auprès de lui trois consulaires ; les malheureux arrivent tremblans, un pareil message ne leur semblait que trop clair. On les fait entrer, on les place tout gelés de peur. Tout à coup, un bruit de flûtes et de castagnettes ; Caïus paraît avec une longue tunique et la robe flottante du tragédien. Il monte sur un tréteau ; il danse un ballet et renvoie encore tremblans les trois vieilles toges sénatoriales.

Mais sa plus grande passion fut pour l’éloquence. Il avait une parole naturellement forte, ardente, impétueuse ; c’était après tout une nature bizarrement hardie que la sienne. Lorsqu’un homme était accusé devant le sénat, Caïus songeait au parti qu’il devait prendre, l’accusation ou la défense, selon que l’une ou l’autre allait mieux à sa phrase. Quand il avait choisi, il faisait ouvrir aux chevaliers les portes du sénat ; il invitait par ordonnance à venir l’entendre.

Il ne tint pas contre le désir de jouter avec l’homme qui passait pour le premier orateur de son siècle, Domitius Afer. Domitius avait eu beau lui élever une statue ; il ne pouvait échapper à cette joute fort désirée de Caïus, fort sérieuse pour lui, car en tout cas mort s’ensuivait. On le chicana sur je ne sais quelle inscription de sa statue ; il fut dénoncé devant le sénat. Caïus voulut être son accusateur ; il avait tout prêt un magnifique discours, et le débita avec grande chaleur et grande solennité. C’était au tour de Domitius de répondre ; mais en homme d’esprit, il se garda de le faire ; il était trop ému, trop rempli d’admiration, il n’eut de parole que pour louer son éloquent accusateur, pour répéter chacune de ses phrases, pour s’enthousiasmer sur chacune de ses paroles. Mais ta défense, lui criait-on, ta défense ! Sa défense ! Il se jeta aux genoux de Caligula, il le supplia, ce maître de l’éloquence, de pardonner à un pauvre