Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/748

Cette page a été validée par deux contributeurs.
744
REVUE DES DEUX MONDES.

ses convives. Qu’Incitatus dorme en paix, les soldats sont là, et, pour ménager son sommeil, imposent silence à tout le quartier. Incitatus va être consul : il a une écurie de marbre et un râtelier d’ivoire ; Incitatus est le cheval de César. — Caïus a donné des jeux à la Sicile, il en a donné à la Gaule, il n’en refuse à personne. À Rome, il y a des spectacles tout le jour, ce n’est pas assez, il y en aura la nuit ; toute la ville sera illuminée. — Venez plus loin, si Caïus quelquefois a affamé le peuple, aujourd’hui il le nourrit, il lui jette des vivres, des fruits, des oiseaux, de l’argent, de l’or ; il y mêle des couteaux aiguisés ; pardonnez-lui, c’est un caprice.

Si Caïus a ses caprices, le peuple aussi veut avoir les siens ; il s’avise de favoriser les gladiateurs que n’aime pas son prince ; il est au cirque pour la faction contraire à la sienne ; il appelle Caïus le jeune Auguste ; au beau milieu du spectacle, il se lève et se met à crier contre les délateurs : c’est la vieille liberté du théâtre. Caïus se fâche, fait tuer à droite et à gauche, « Plût aux dieux, s’écrie-t-il, que le peuple romain n’eût qu’une tête ! »

Comment celui qui peut tout n’aurait-il pas tous les talens ? Caïus est tourmenté par le problème de sa toute-puissance : il faut qu’il sache tout, qu’il soit le premier en toute chose ; il est jaloux d’Homère et de Virgile, il renverse et défigure les statues des hommes illustres. La noblesse est en coupe réglée, elle expie chaque jour son ancienne puissance, ses patrimoines enrichissent le fisc ; mais il lui reste ses souvenirs, les Torquatus ont le collier que leur ancêtre enleva aux Gaulois, les Cincinnatus ont pour insigne la chevelure de leurs ancêtres, les Pompée ont gardé le surnom de grand ; tout ce blason fait ombrage à Caïus, il l’abolit ; il porte envie à tout ce qui se distingue, même à la robe de pourpre du roi Ptolémée, qui détourne les regards de la foule et la distrait des jeux que son prince lui donne. Si un homme est élégant et bien peigné, il lui fait raser la tête par derrière ; — un autre est grand et beau, il l’envoie combattre contre les gladiateurs ; il a le dessus, faites-le mourir. — Un autre jour, un esclave, vainqueur au cirque, est affranchi par son maître ; le peuple applaudit avec transport : Caïus est indigné ; il faut qu’on ne voie, qu’on n’admire que lui ; il se jette hors du cirque, descend les degrés à la hâte, foule aux pieds la frange de sa robe. « Le peuple-roi aura donc plus d’hommages pour un gladiateur que pour la personne sacrée de ses princes, que pour moi, présent devant lui ? »

Pourquoi d’ailleurs admirer un autre que Caïus ? Y a-t-il un talent qui lui fasse défaut ? Peut-il manquer quelque chose au maître du