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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

ruines. Sa tête centenaire était blanche comme l’argent, et les rides de son front ressemblaient aux runes creusées sur un tombeau. Il était pauvre ; mais, habitué au besoin, il s’en souciait peu. Il vivait comme autrefois quand il était au camp, et demeurait dans une cabane obscure au milieu des bois. Mais il avait deux objets précieux, plus précieux pour lui que le monde entier. C’était sa Bible, et puis sa vieille épée sur laquelle était inscrit le nom de Charles XII. Les exploits du grand roi, qui ont été si souvent décrits (car cet aigle de Suède a pris un large essor), vivaient dans la mémoire du vieillard comme les urnes des combattans dans la colline sépulcrale couverte de gazon. Oh ! quand il parlait des dangers du roi et de ses compagnons, comme son regard brillait, et comme sa tête se relevait avec fierté ! chacune de ses paroles retentissait alors mâle et forte comme le son de l’épée. Souvent je l’ai vu assis très tard dans la nuit, parlant des jours passés, et, chaque fois qu’il prononçait le nom de Charles, il ôtait son chapeau. Je restais, avec une sorte de ravissement, à ses genoux (car je n’allais pas plus haut), et, dès ces heures d’enfance, j’ai gardé toutes ces images d’une race de héros ; dès ces heures d’enfance, plus d’une tradition obscure repose dans ma mémoire comme un lis dont le germe dort sous la neige de l’hiver. »

Charles est à Bender. Il doit écrire à son conseil d’état à Stockholm, et il choisit Axel pour porter la lettre. « C’était un homme doué de ces belles formes que le Nord produit parfois, frais comme une rose, mais élancé et droit comme un sapin de Suède. Son front était pur et ouvert comme un ciel dégagé de nuages, et tous ses traits portaient l’empreinte d’un cœur honnête et d’un esprit curieux. À voir ses yeux limpides, on sentait qu’ils étaient faits pour s’élever avec espoir et confiance vers le créateur de la lumière, et s’abaisser sans crainte vers l’ange des ténèbres. Il avait pris place parmi les compagnons du roi, parmi ses frères en valeur et en vertus. Ils n’étaient que sept comme les étoiles du char céleste, ou tout au plus neuf comme les filles de Mémoire. Leur choix était sévère. Il fallait, pour entrer parmi eux, subir l’épreuve du fer et du feu. C’était une race de Vikingr chrétiens assez semblable à celle qui s’élançait jadis sur les vagues de l’Océan. Ils ne dormaient jamais dans un lit ; ils étendaient leur manteau sur la terre, et, au milieu des orages et des glaces du Nord, ils reposaient là comme sur une couche de fleurs. De leur main vigoureuse, ils pouvaient ployer un fer de cheval. Jamais on ne les vit s’asseoir autour de la flamme du foyer. Ils se réchauffaient avec les balles ardentes et rouges comme les étoiles