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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

m’approchai d’un paysan et je lui demandai où demeurait Tegner. — Ah ! notre évêque, me dit-il en ôtant son chapeau. C’est là sur la colline, dans cette grande maison que vous voyez au bout de l’avenue.

Je traversai rapidement le chemin qu’il venait de m’indiquer, et j’entrai dans le vestibule d’une maison construite en bois comme toutes celles de la ville, mais peinte en blanc, entourée d’acacias, et assez semblable aux jolies habitations d’été qu’on voit en Normandie. Un domestique m’introduisit dans une grande salle meublée avec une sorte de luxe parisien. Là, j’aperçus un homme d’une cinquantaine d’années, grand, fort, portant un habit noir et une plaque d’argent sur la poitrine. C’était Tegner. On m’avait dit qu’il était d’une nature sérieuse, parfois triste, et il y avait, en effet, dans son regard, dans sa voix, une expression de mélancolie frappante. Mais peu à peu son regard s’anima, sa voix reprit un timbre plus vif. Nous parlions de poésie, et un nom de poète, une idée d’art, faisaient vibrer en lui une corde sonore assoupie dans la retraite et l’isolement. À mesure que la conversation se prolongeait, elle devenait, de son côté, plus franche et plus intéressante. Il ne mettait pas d’empressement à parler, mais sa parole avait un accent énergique, et il formulait en quelques mots fermes, concis, un jugement ou une pensée élevée. Quelquefois aussi sa conversation tournait à la plaisanterie. Elle était spirituelle et acérée, mais je regrettais d’y voir éclater de temps à autre des saillies qui me rappelaient ce qu’on nous raconte des abbés coquets du dernier siècle, et j’aurais mieux aimé le retrouver grave et pensif tel qu’il m’était apparu d’abord.

Nous passâmes tour à tour en revue les principaux poètes du Danemark, de la Suède, de l’Allemagne, et cet entretien me révéla en lui une modestie qui commence à devenir très rare dans notre monde littéraire. Il parlait des autres avec amour, avec respect, et de lui avec indifférence. Le soir, il fit apporter du punch dans sa chambre, il ouvrit les fenêtres du balcon, et me prenant par la main : — Voyez, me dit-il, notre nature du Nord n’est-elle pas belle ? — Dans ce moment, le paysage déroulé devant nous présentait, en effet, un charme singulier. La ville était à nos pieds et paraissait affaissée dans la campagne comme des nids d’alouette dans les sillons. Près de là, on entrevoyait une ceinture de collines couvertes de bruyère, une longue ligne de sapins coupée par des lacs ; les rayons du soleil couchant scintillaient à travers les rameaux verts de la forêt, mais le ciel était encore chargé de nuages, et il y avait sur toute cette nature une sorte de voile mystérieux. Tout, autour de nous, était déjà assoupi ; tout