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bœufs qu’ils lui donneront. Plus d’une vieille haine s’est évanouie ainsi dans le cliquetis harmonieux de deux verres qui exhalaient un parfum d’eau-de-vie, et plus d’une jeune fille, qui était venue ici sans songer à rien, s’en est retournée emportant sur ses joues un baiser de fiançailles.

Ce jour-là, toutes les rues de la ville que j’avais vues la veille si mornes et silencieuses, étaient traversées par une foule de voitures, d’hommes à pied et à cheval, de femmes et d’enfans. Les uns faisaient déjà leur repas du matin, assis sur le seuil d’une porte et tirant leurs provisions d’une corbeille d’écorce ; d’autres, couchés nonchalamment sur leur charrette, semblaient n’être venus là que pour jouir du spectacle qui s’offrait à eux. La charrette du paysan suédois est une véritable maison roulante qui doit lui servir dans toutes les occasions. En voyage, il s’arrête rarement dans une auberge ; il emporte avec lui tout ce dont il a besoin ; il mange dans sa charrette et dort dans sa charrette.

La plus grande partie des étrangers venus à la foire étaient réunis sur la place. C’était là que les marchands de Gotheborg et de Norrkœping avaient dressé leurs boutiques. C’était là qu’on voyait briller les étoffes de soie, les rubans moirés, les objets de luxe et de fantaisie. Je m’avançai au milieu des rangs serrés de la foule, curieux d’observer toutes ces physionomies. Les femmes de la Smalande sont, en général, grandes, belles, blanches. Elles portent un corset de drap étroit, et une longue tresse de cheveux flotte sur leurs épaules. Les hommes ont conservé leur jaquette bleue avec des boutons d’acier, leur grand gilet brodé sur la poitrine et leur chapeau à larges bords. Mais le vent des révolutions souffle de toutes parts. Dans cette espèce de congrès commercial, les femmes étaient debout devant la boutique du marchand, contemplant avec un regard avide le fichu de soie aux riantes couleurs et le ruban aux reflets dorés. Les hommes, arrêtés à l’écart, causaient de ce qu’ils avaient lu dans les journaux. Je voyais venir le moment où les femmes échangeraient leur robe de vadmel contre une robe de calicot, et où les hommes s’intéresseraient à la question d’Espagne. Ailleurs, la civilisation marche à l’aide des bateaux à vapeur, des chemins de fer ; ici, elle se développe au moyen des foires.

Après avoir regardé pendant quelque temps ces différens groupes, qui eussent pu fournir tour à tour un sujet de tableau à la capricieuse fantaisie de Hogarth et à la douce imagination de Greuze, je me rappelai que j’étais venu ici pourvoir une des célébrités du Nord. Je