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purement théologique, et Pascal par son génie, eurent le sentiment profond et lucide du point capital où serait bientôt le grand danger ; ils eurent ce sentiment plus qu’aucun autre peut-être de leur temps, plus que Bossuet lui-même, un peu calme dans sa sublimité. Quant à Fénelon, qui d’ailleurs vint plus tard, loin de s’effrayer de ces choses, il les favorisait plutôt en les embellissant des lumières diffuses de sa charité. Il apercevait, il regardait déjà en beaucoup d’endroits le xviiie siècle, et sans le maudire.

ii. — Non plus au point de vue théologique, mais à celui de la constitution civile de la religion, Port-Royal, bien qu’il n’ait pas eu à s’expliquer formellement sur ce point, tendait évidemment à une forme plus libre, et où l’autorité pourtant s’exercerait. Les évêques, les curés, les directeurs surtout, une fois choisis, auraient formé une sorte de pouvoir moyen, à peu près indépendant de Rome, prenant conseil habituel dans la prière, et s’exerçant en supérieur vénéré sur les fidèles. On peut dire que la famille des Arnauld porta, dans le cadre de Port-Royal, beaucoup de l’esprit de famille, du culte domestique, de cet esprit du patriciat de la haute bourgeoisie, qui était propre à certaines dynasties parlementaires du xvie siècle (les Bignon, Sainte-Marthe, Marion, etc.). La religion qu’ils adoptèrent à Port-Royal, et que Saint-Cyran leur exprima, était (civilement, politiquement parlant et sinon d’intention, du moins d’instinct et de fait) l’essai anticipé d’une sorte de tiers-état supérieur, se gouvernant lui-même dans l’Église, une religion, non plus romaine, non plus aristocratique et de cour, non plus dévotieuse à la façon du petit peuple, mais plus libre des vaines images, des cérémonies ou splendides ou petites, et plus libre aussi, au temporel, en face de l’autorité ; une religion sobre, austère, indépendante, qu’eût fondé véritablement une réforme gallicane. Ce qu’on a entendu par ce mot ne portait que sur des réserves de discipline et une jurisprudence, une procédure sorbonnique, en quelque sorte extérieure. Le jansénisme, lui, cherchait une base essentielle et spirituelle à ce que les gallicans (plus prudemment sans doute) n’ont pris que par le dehors, par les maximes coutumières et par les précédens. L’illusion fut de croire qu’on pouvait continuer d’exister dans Rome en substituant un centre si différent. Richelieu et Louis XIV sentirent, le premier plus longuement et nettement, l’autre d’une vue plus restreinte, mais non moins ennemie, la hardiesse de cet essai et n’omirent rien pour le ruiner. On a dit qu’au xvie siècle, le protestantisme en France fut une tentative de l’aristo-