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PORT-ROYAL.

Saint-Cyran fut une manière de Calvin au sein de l’église catholique et de l’épiscopat gallican, un Calvin restaurant l’esprit des sacremens, un Calvin intérieur à cette Rome à laquelle il voulait continuer d’adhérer. La tentative échoua, et l’église catholique romaine y mit obstacle, déclarant égarés ceux qui voulaient à toute force, et tout en la modifiant, lui demeurer soumis et fidèles.

Port-Royal, entre le xvie et le xviie siècle, c’est-à-dire deux siècles volontiers incrédules, ne fut, à le bien prendre, qu’un retour et un redoublement de foi à la divinité de Jésus-Christ. Saint-Cyran, Jansénius et Pascal furent tout-à-fait clairvoyans et prévoyans sur un point : ils comprirent et voulurent redresser à temps la pente déjà ancienne et presque universelle où inclinaient les esprits. Les doctrines du pélagianisme et surtout du semi-pélagianisme avaient rempli insensiblement l’église, et constituaient le fond, l’inspiration du christianisme enseigné. Ces doctrines qui, en s’appuyant de la bonté du Père et de la miséricorde infinie du Fils, tendaient toutes à placer dans la volonté et la liberté de l’homme le principe de sa justice et de son salut, leur parurent pousser à de prochaines et désastreuses conséquences. Car, pensaient-ils, si l’homme déchu est libre encore dans ce sens qu’il puisse opérer par lui-même les commencemens de sa régénération et mériter quelque chose par le mouvement propre de sa bonne volonté, il n’est donc pas tout-à-fait déchu, toute sa nature n’est pas incurablement infectée ; la rédemption toujours vivante et actuelle par le Christ ne demeure pas aussi souverainement nécessaire. Étendez encore un peu cette liberté comme fait Pélage, et le besoin de la rédemption surnaturelle a cessé. Voilà bien, aux yeux de Jansénius et de Saint-Cyran, quel fut le point capital, ce qu’ils prévirent être près de sortir de ce christianisme, selon eux relâché, et trop concédant à la nature humaine. Ils prévirent qu’on était en voie d’arriver par un chemin plus ou moins couvert,… où donc ? à l’inutilité du Christ-Dieu. À ce mot ils poussèrent un cri d’alarme et d’effroi. Le lendemain du xvie siècle, et cent ans avant les débuts de Montesquieu et de Voltaire, ils devinèrent toute l’audace de l’avenir ; ils voulurent, par un remède absolu, couper court et net à tout ce qui tendait à la mitigation sur ce dogme du Christ-Sauveur. Il semblait qu’ils lisaient dans les définitions de la liberté et de la conscience par le moine Pélage les futures pages éloquentes du Vicaire Savoyard, et qu’ils les voulaient abolir.

Théologiquement donc, quelques-uns des principaux de Port-Royal, trois au moins, Jansénius et Saint-Cyran par leur pénétration