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REVUE DES DEUX MONDES.

— Quel dévouement espères-tu rencontrer chez ta maîtresse ? quelques nuits de plaisir ? Tu sembles embarrassé de répondre ?

— Je le suis, en effet, je t’ai dit qu’elle avait quinze ans, et je suis un honnête homme.

— Espères-tu l’épouser ?

— Épouser, moi ! une fille riche et de grande maison ! Dieu m’en préserve ! Ah ! ça, tu crois donc que je suis dévoré comme toi de la matrimoniomanie ?

— Mais je suppose, moi, que tu aies envie de l’épouser, tu crois qu’elle y consentira, tu en es sûr ?

— Mais je te répète que pour rien au monde je ne veux épouser personne.

— Si c’est parce que tu serais mal venu à en avoir la prétention, ton rôle est triste, mon bon Lélio !

Corpo di Bacco, tu m’ennuies, Checchina !

— C’est bien mon intention, cher ami de mon ame. Or donc, tu ne songes point à épouser, parce que ce serait une impertinente fantaisie de ta part, et que tu es un homme d’esprit. — Tu ne songes point à séduire, parce que ce serait un crime, et que tu es un homme de cœur. — Dis-moi, est-ce que ce sera bien amusant, ton roman ?

— Mais, créature épaisse et positive que tu es, tu n’entends rien au sentiment. Si je veux faire une pastorale, qui m’en empêchera ?

— Une pastorale, c’est joli en musique. En amour, ce doit être bien fade.

— Mais ce n’est ni criminel ni humiliant.

— Et pourquoi es-tu si agité ? Pourquoi es-tu triste, Lélio ?

— Tu rêves, Checchina, je suis tranquille et joyeux comme de coutume. Laissons toutes ces paroles ; je ne te recommande pas le secret sur le peu que je t’ai dit, j’ai confiance en toi. Pour te rassurer sur ma situation d’esprit, sache seulement une chose : je suis plus fier de ma profession de comédien, que jamais gentilhomme ne le fut de son marquisat. Il n’est au pouvoir de personne de m’en faire rougir. Je ne serai jamais assez fat, quoi que tu en dises, pour désirer des dévouemens extraordinaires, et si un peu d’amour réchauffe mon cœur en cet instant, la joie modeste d’en inspirer un peu me suffit. Je ne nie pas les nombreuses supériorités des femmes de théâtre sur les femmes du monde. Il y a plus de beauté, de grace, d’esprit et de feu, dans les coulisses que partout ailleurs, je le sais. Il n’y a pas plus de pudeur, de désintéressement, de chasteté et de fidélité, chez les grandes dames que partout ailleurs, je le sais encore. Mais