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LA DERNIÈRE ALDINI.

mais il était évident que sa conscience lui reprochait cet acte de faiblesse, et que lui en offrir le paiement, c’eut été la châtier et l’humilier cruellement. Je me reprochais beaucoup, en cet instant, le baiser que j’avais osé lui dérober pour railler sa maîtresse, et j’essayai de réparer ma faute, en la reconduisant jusqu’au bout du jardin avec autant de respect et de courtoisie que j’en eusse témoigné à une grande dame.

Je fus très agité tout le reste du jour. La Checchina s’aperçut de ma préoccupation. — Voyons, Lélio, me dit-elle à la fin du souper que nous prenions tête à tête sur une jolie petite terrasse ombragée de pampres et de jasmins ; je vois que tu es tourmenté ; pourquoi ne m’ouvres-tu pas ton cœur ? Ai-je jamais trahi un secret ? Ne suis-je pas digne de ta confiance ? ai-je mérité qu’elle me fût retirée ? — Non, ma bonne Checchinna, lui répondis-je, je rends justice à ta discrétion (et il est certain que la Checchina eût gardé, comme Portia, les confidences de Brutus) ; mais, ajoutai-je, si tous mes secrets t’appartiennent, il en est d’autres… — Je sais ce que tu vas me dire, dit-elle avec vivacité. Il en est d’autres qui ne sont pas à toi seul et dont tu n’as pas le droit de disposer ; mais si, malgré toi, je les devine, dois-tu pousser le scrupule jusqu’à nier inutilement ce que je sais aussi bien que toi ? Allons, ami, j’ai fort bien compris la visite de cette belle fille ; j’ai vu sa main dans sa poche, et, avant qu’elle m’eût dit bonjour, je savais qu’elle apportait une lettre. À l’air timide et chagrin de cette pauvre Iris (la Checchina aimait beaucoup les comparaisons mythologiques depuis qu’elle épelait l’Aminta di Tasso et l’Adone del Guarini), j’ai bien compris qu’il y avait là une véritable histoire de roman, une grande dame craignant le monde ou une petite fille risquant son établissement futur avec quelque honnête bourgeois. Ce qu’il y a de certain, c’est que tu as fait une de ces conquêtes dont vous autres hommes êtes si fiers, parce qu’elles passent pour difficiles et demandent beaucoup de cachotteries. Tu vois que j’ai deviné ? — Je répondis par un sourire. — Je ne t’en demande pas davantage, reprit-elle ; je sais que tu ne dois trahir ni le nom, ni la demeure, ni la condition de la personne ; d’ailleurs cela ne m’intéresse pas. Mais je puis te demander si tu es enchanté ou désespéré, et tu dois me dire si je puis te servir à quelque chose. — Si j’ai besoin de toi, je te le dirai, répondis-je ; et quant à te faire savoir si je suis enchanté ou désespéré, je puis t’assurer que je ne suis encore ni l’un ni l’autre.