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coin de son feu. « Nous ne sommes pas les seuls, dit-il, qu’il y ait ici ; d’autres habitent cette même salle pour toujours, enterrés sous des monceaux de pierre. Et c’est ici que l’on a dit pour eux la messe des morts. » Il y a quelques années, un homme fut pris entre deux rochers qui se rapprochaient, et il y fut lentement écrasé, malgré les efforts prodigieux que firent tous les mineurs, et surtout les hommes de Goulier, pour l’en dégager. Le curé de Vicdessos vint donner l’extrême-onction à ce malheureux au milieu de ses tortures ; puis, l’on fit autour de lui, sur le lieu même, un service funèbre. Quel tableau que les quatre cents mineurs à genoux, leur marteau à côté d’eux, et leur lampe à la main, avec leur ingénieur et leurs jurats, autour des deux terribles rochers qui avaient broyé leur ami ! quelle puissance devait avoir la voix du prêtre avec les mornes échos qui la répétaient sourdement ! quel De Profundis on dut chanter dans cette catacombe !

Si cette lettre n’était déjà bien longue, je vous dirais tout ce que vaut au pays la mine de Rancié, les efforts auxquels s’est décidé le département pour la rendre plus productive, le concours qu’il sollicite du gouvernement et auquel il a droit, car, jusqu’à présent, le département de l’Ariége a été beaucoup plus partie payante que partie prenante au budget, je vous détaillerais les travaux variés et décisifs d’un jeune et savant ingénieur, M. François, qui, à force d’observations et d’expériences, en sacrifiant sa santé et son argent, a découvert le moyen de régénérer, en lui conservant son antique caractère, l’industrie des fers de l’Ariége, gravement compromise par la concurrence des grandes forges qui se sont élevées dans le midi ; je vous signalerais les résultats déjà réalisés par l’esprit d’association ; je vous montrerais les maîtres de forges et le conseil-général du département se concertant pour donner aux forges locales ce que, jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas su organiser au profit de l’industrie des fers en général, un établissement-modèle. Mais tous mes souvenirs se reportent, malgré moi, maintenant, vers la basilique souterraine des mines de Rancié, et vers le discours du vieux jurat. Je n’ai plus de mémoire pour autre chose.


Michel Chevalier.