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LA RÉPUBLIQUE D’ANDORRE.

tification du sol. Toutes les cavités qu’ils avaient ménagées au hasard se sont réunies par des écroulemens successifs, en un seul, qui est admirable de désordre, plus admirable que le chaos de Gavarnie. On y trouve une salle ayant pour banquettes, pour tapisseries, pour pavé, pour pendentifs et pour caissons à la voûte, des blocs anguleux menaçans, à demi détachés, et gros comme des maisons. Elle est de dimension telle, qu’on pourrait y loger aisément Notre-Dame de Paris avec ses deux tours, et par-dessus les tours, la Colonne Vendôme ; lorsque je suis allé voir la mine, l’ingénieur qui nous conduisait avait fait allumer des torches d’espace en espace, du haut en bas de cette vaste nef ; des mineurs tenant des morceaux de sapin embrasés, sautaient de roche en roche ; l’un d’eux s’était hissé sur un bloc triangulaire isolé, posé comme une pyramide au milieu de la caverne, et que l’ingénieur appelle sa tête d’Ossian. L’explosion de la poudre, qui mettait en éclat des massifs de minerai dans d’autres ateliers éloignés, se répercutait dans tous les coins de cette chambre de Titans. Nous questionnions les mineurs sur les dangers qu’ils couraient, lorsqu’au printemps, quand vient le dégel, la montagne en travail agite ses flancs, et que les rochers, jouant les uns sur les autres, se resserrent, se détachent, se précipitent. Nous félicitions l’ingénieur de l’audace avec laquelle il prit sur lui d’ordonner et de faire construire, sans quitter un instant de sa personne le champ d’honneur, une galerie blindée au travers de cet éboulis gigantesque, afin de diminuer les chances d’accident pendant l’allée et la venue des mineurs, quand ils se rendent au travail et quand ils en sortent[1]. Nous écoutions le récit d’un vieux jurat qui décrivait naïvement le zèle infatigable des ouvriers, leur discipline et leur profond silence, lorsque l’on travaillait à délivrer quelques frères que la chute d’un bloc ou l’écrasement d’une galerie tenait emprisonnés sans vivres et sans lumière, et qui subissaient ainsi le supplice d’Ugolin. Nous excusions pleinement alors, en raison des prouesses que toutes les voix attribuaient aux mineurs de Goulier, l’appétit colossal et le gros sensualisme de ces braves gens. Nous arrachions à cet impassible cicérone quelques détails sur les accidens dont il avait été le témoin, sur les délivrances auxquelles il avait coopéré, sur les scènes de douleur qui avaient eu pour théâtre cette vaste chambre où, nonchalamment assis sur un bloc, il était cependant à l’aise comme au

  1. À peine ce blindage, qui occupa tous les mineurs pendant quinze jours, était-il achevé, qu’un éboulement eut lieu et couvrit de ses débris amoncelés l’un des passages les plus fréquentés auparavant.