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LA RÉPUBLIQUE D’ANDORRE.

cette vallée d’Andorre, et là il est resté intact ! Voici des registres de l’état civil aux mains du clergé, un droit d’aînesse si étendu, si bien observé, que telle famille possède le même bien depuis sept à huit cents ans sans l’avoir en aucune manière augmenté ni diminué ; voici une grande inégalité de condition, ou au moins des gens très pauvres à côté d’autres très riches ; voici les substitutions usitées sans cesse ; voici le système des fonctions gratuites, c’est-à-dire un symbole évident d’aristocratie ; et contre toutes ces traditions de l’ancien régime, il n’y a pas une plainte ! » C’est que la ceinture de montagnes qui entoure l’Andorre a été pour lui une muraille de la Chine, derrière laquelle il a jusqu’ici bravé l’esprit d’innovation ; c’est que l’Andorre possède encore au plus haut degré le sentiment de famille, qui a suffi à la stabilité de cet immense empire dans lequel il y a autant de millions d’habitans, qu’il y en a de douzaines dans l’Andorre ; c’est que, de plus que le céleste empire, ce microscopique Andorre a fidèlement gardé la religion, puissante garantie de toutes les institutions sociales, et avec elle des mœurs pures et sévères, c’est-à-dire républicaines ; c’est que les supérieurs, dans l’Andorre, s’ils savent commander, savent au besoin obéir ; s’ils connaissent leurs droits, ils respectent leurs devoirs ; c’est que les aristocrates andorrans pratiquent le patronage plus libéralement que n’a jamais su le faire l’aristocratie française, et même que l’aristocratie anglaise, qui pourtant l’entend si bien ; c’est que, mis au-dessus de la foule comme représentans du principe d’inégalité, ils rendent cependant à celui d’égalité le plus éclatant des hommages. « Les chefs de famille ne quittent jamais leurs biens, et, ne faisant aucune dépense de luxe, emploient tous leurs revenus aux travaux agricoles et à la garde de leurs bestiaux. Les paysans pauvres qui les entourent, partagent les travaux de leurs enfans et leurs repas ; leurs habits sont tissus, comme l’habit de leur maître, de la laine de son troupeau ; les jours de fête, ils partagent les mêmes délassemens, jamais humiliés, jamais maltraités. Le peuple, loin d’envier la fortune du riche, le respecte comme son magistrat, l’aime comme son bienfaiteur, et regarde son bien comme un atelier inépuisable sur lequel il a un droit de travail et de nourriture[1]. »

  1. Notice sur l’Andorre, par M. Roussillou. — M. Roussillou a été viguier d’Andorre, nommé par le gouvernement français, jusqu’en 1831, époque à laquelle il a été destitué pour opinion politique par le ministre de l’intérieur. Il est le premier viguier qui ait été frappé de destitution. Pour causer une pareille perturbation dans l’Andorre, il ne fallait rien moins qu’une révolution assez puissante pour renverser une dynastie de huit siècles.