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ment avant des ordres pour l’apprêt d’un dîner, et à peu de distance d’une invocation aux songes. Mais le christianisme de la prière de Paulin est un peu indécis pourtant, et l’on surprend encore quelques retours vers des sentimens et une sagesse profanes. Paulin adresse au ciel des vœux qui conviendraient à un honnête païen. « Puissé-je avoir[1] une joyeuse maison, une épouse chaste et des fils chéris ! » Alors il désirait être père ; l’idée du célibat dans le mariage était loin de lui. Il demande de ne pas avoir des jours tristes, de ne pas souffrir dans l’ame, ni dans le corps. Il n’avait pas accepté la croix véritable. Quelques vers exaltés qui se trouvent à côté de ces souhaits timides[2], montrent les fluctuations de cette ame encore agitée. Enfin, il fit un pas de plus ; il vendit tous ses biens, sa femme devint sa sœur, et il embrassa toute la sévérité du sacrifice. Ce fut une grande joie dans l’église. L’église, à cette époque, formait sur toute la terre une sorte de patrie commune des ames chrétiennes ; l’église était une grande cité dont tous les membres avaient des intérêts pareils et des affections unanimes. La patrie chrétienne se réjouissait de la gloire d’un de ses enfans, comme la patrie antique applaudissait à une noble action d’un de ses fils. Quand on apprit en Italie, en Afrique, Ambroise à Milan, Augustin à Hippone, qu’un consulaire, un littérateur, un patricien célèbre, Paulinus Pontius, avait quitté le monde, l’éloquence, la renommée, pour se retirer dans la solitude, et qu’il avait distribué aux pauvres ses grandes richesses, toute l’église admira le triomphe de la foi. Paulin répondait aux éloges avec une humilité ingénieuse : « L’athlète ne triomphe pas dès qu’il s’est dépouillé. Celui qui doit traverser un fleuve à la nage se dépouille aussi, mais il ne passera le fleuve que si, après s’être dépouillé, il lutte avec constance et triomphe du courant. »

Cependant, la famille de Paulin, ses amis, ses condisciples, et plus que tous les autres, son maître Ausone, s’affligeaient du parti qu’il avait pris. Plusieurs se détachaient de lui. Paulin a exprimé avec un accent de mélancolie profonde la peine que lui causaient le blâme de ses parens et la désertion de ses amis, « Où est, s’écriait-il douloureusement, où est la parenté ? Où sont les liens du sang ? Que sert le toit commun de la famille ? Je suis devenu, comme dit le psalmiste, étranger en présence de mes frères ; j’ai été un voyageur parmi les fils de ma mère. Mes amis et ceux qui étaient mes proches se sont

  1. Paul. poem. iv. Precatio.
  2. Paul. poem. v.